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nombre prodigieux, ils envojoient, au commencement
de chaque printemps, des colonies nombreuses vers
des rivages plus méridionaux de l’Europe ou de l’Amérique.
On a tracé la route de ces légions errantes.
On a cru voir ces immenses tribus se diviser en deux
troupes, dont les innombrables détachemens: cou-
vroient au loin la surface des mers, ou en traversoient
les couches supérieures. L’une de ces grandes colonnes
se pressoit autour des côtes de l’Islande, et, se répandant
au-dessus du banc fameux de Terre-Neuve, alloit
remplir les golfes et les baies du continent américain;
l’autre, suivant des directions orientales, descendoit le
long de la Norvège, pénétroit dans la Baltique, ou,
faisant le tour des Orcades, s’avançoit entre l’Ecosse et
l ’Irlande, cingloit vers le midi de cette dernière isle*
s’étendoit à l’orient de la Grande-Bretagne, parvenoit
jusque vers l’Espagne, et occupoit tous les rivages de
France, de la Batavie et de l’Allemagne, qu’arrose l’Océan,
Après s’être offerts pendant long-temps, dans tous
ces parages, aux filets des pêcheurs , les harengs voyageurs
revenoient sur leur route-, disparoissoient , et
alloient regagner lèurs retraites boréales et profondes.
Pendant long-temps, bien loin de révoquer en doute
ces merveilleuses migrations, on s?est efforcé d’en
expliquer l’étendue, la constance, et le retour régulier
: mais nous avons déjà annoncé, dans notre. Discours
sur la nature des poissons , et dans l’histoire du
scombre maquereau, qu’il n’étoit plus permis de croire
à ces grands et périodiques voyages. Bloch, et le citoyen
Noël de Rouen, ont prouvé, par un rapprochement
très-exact de faits incontestables, qu’il étoit
impossible d’admettre cette navigation annuelle et
extraordinaire. Pour continuer d’y croire, il faudrait
rejeter les observations les plus sûres, d’après lesquelles
il est hors de doute qu’il s’écoule souvent
plusieurs années sans qu’on voie des harengs sur plusieurs
des rivages principaux indiqués comme les endroits
les plus remarquables de la route de ces poissons;
qu auprès de beaucoup d autres prétendues stations
de ces animaux, on en pêche pendant toute l’année
une très-grande quantité; que la grosseur de ces
osseux varie souvent, selon la qualité des eaux qu’ils
fréquentent, et sans aucun rapport avec la saison, avec
leur éloiguement de leur asyle septentrional, ou avec
la longueur de l’espace qu’ils auraient dû parcourir
depuis leur sortie de leur habitation polaire; et enfin
qu’aucun signe certain n’a jamais indiqué leur rentrée
régulière sous les voûtes de glace des très-hautes latitudes.
Chaque année cependant les voit arriver vers les
isles et les régions continentales de l’Amérique et de
l’Europe qui leur conviennent le mieux, ou vers les
rivages septentrionaux de l’Asie. Toutes lès fois qu’ils
ont besoin de chercher une nourriture nouvelle, et
sur-tout lorsqu’ils doivent se débarrasser de leur laite
ou de leurs oeufs, ils abandonnent les fonds de la
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