0 2 0 H I S T O I R E N A T U R E L L E
prendre dans les étangs, des collerets, des louves et
des nasses, dans lesquels on met un appât. On peut
aussi se servir de l’hameçon pour la pêche des carpes.
Mais ces cyprins sont très-souvent plus difficiles à
prendre qu’on ne le croiroit : ils se méfient des différentes
substances avec lesquelles on cherche à les attirer.
D’ailleurs, lorsqu’ils voient les filets s’approcher
d’eux, ils savent enfoncer leur tête dans la vase, et les
laisser passer par-dessus leur corps , ou s’élancer au-
delà de ces instrumens par une impulsion qui les élève
à deux mètres ou environ au-dessus de la surface de
l ’eau. Aussi les pêcheurs ont-ils quelquefois le soin
d'employer deux trubles* , dont la position est telle,
que lorsque les carpes sautent pour échapper à l’un,
elles retombent dans l’autre.
La fréquence de leurs tentatives à cet égard, et par
conséquent l’étendue de leur instinct, sont augmentées
par la facilité avec laquelle elles peuvent résister
aux contusions, aux blessures, à un séjour prolongé
dans l’atmosphère. C’est par une suite de cette faculté
qu’on peut les transporter à de très-grandes distances
sans les faire périr, pourvu qu’on les renferme dans
de la neige, et qu’on leur mette dans la bouche un
petit morceau de pain trempé dans de l’alcool affoibli;
D E S P O I S S O N S . S a i
et c’est encore cette propriété qui fait que pendant
1 hiver on peut les conserver en vie dans des caves
humides, et même les engraisser beaucoup, en les tenant
suspendues après les avoir entourées de mousse,
en arrosant souvent leur enveloppe végétale, et en
leur donnant du pain, des fragmens de plantes , et du
lait. •
Dès le temps de Bellon on faisoit avec les oeufs des
carpes, du caviar, qui étoit très-recherché à Constantinople
et dans les environs de la mer Noire , ainsi que
de 1 Archipel, et qui étoit acheté avec d’autant plus
d’empressement par les Juifs de ces contrées asiatiques
et européennes, que leurs lois religieuses leur défendent
de se nourrir de caviar fait avec des oeufs d’aci-
pensères.
La vésicule du fiel de ces cyprins contient un liquide
d’un verd foncé, très-amer, et dont on a fait usage en
peinture pour avoir une couleur verte ; et si nous
écrivions l’histoire des erreurs et des préjugés, nous
parlerions de toutes les vertus extraordinaires et ridicules
que l’on a supposées pour la guérison de plusieurs
maladies, dans une petite éminence osseuse du
fond du palais des cyprins que nous considérons,
que l’on a nommée pierre de carpe, et que l’on a souvent
portée avec une confiance aveugle, comme un
préservatif infaillible contre des maux redoutables.
On trouve parmi les carpes, comme dans les autres
espèces de poissons, des monstruosités plus ou moins
t o m e V. 6 6