O
0 0 2
H I S T O I R E N À T U R E L L E
tous les autres poissons osseux. Cet avantage lui donne
un nouveau trait de ressemblance avec le requin et les
squales; il lui donne de plus la facilité d’éviter de plus
loin un ennemi dangereux, ou des’assurerde l’approche
dune proie difficile à surprendre; et d’après l’organisation
particulière de son oreille, on doit être moins
étonné que l’on ait remarqué, du temps même de Pline,
la finesse de son ouïe, et que sous Charles IX, roi de
France, des individus de l’espèce que nous décrivons,
réunis dans un bassin du Louvre, vinssent, lorsqu’on
les appeloit, recevoir la nourriture qu’on leur avoit
préparée.
La vessie natatoire du brochet estsimple, mais grande ;
et sans cet instrument, ce poisson ne parcourroit pas
avec la rapidité qu’il développe, les espaces qu’il franchit,
contre les courans des fleuves impétueux, et au
milieu des eaux les plus pures, et par conséquent les
moins pesantes et les moins propres à le soutenir.
Cest en effet dans les rivières, les fleuves, les lacs
et les étangs, qu il se plaît à séjourner. On ne le voit
dans la mer que lorsqu’il y est entraîné par des accidens
passagers, et retenu par des causes extraordinaires, qui
ne l’empêchent pas d’j dépérir; mais on l’a observé dans
presque toutes les eaux douces'de l’Europe.
Bélon a écrit qu’il l’avoit vu dans le Nil, où il croyoit
que les anciens lui avqient donné le nom d'oxyrhinchus'
* Bellon.j lip. 2, chap. 32.
D E S P O I S S O N S . ' 3 b 3
(museau-pointu). Mon collègue, le citoyen Geoffroy,
professeur du Muséum d’histoire naturelle, va publier
unedissertationtrès-savantesur les animaux de l’Égypte,
dans laquelle on trouvera à quel poisson, différent de
celui que nous examinons, les anciens avoient réellement
appliqué cette dénomination à'oxyrhinque.
Le brochet parvient jusqu’à la longueur de deux ou
trois mètres, et jusqu’au poids de quarante ou cinquante
kilogrammes. 11 croît très-promptement. Dès sa
première année, il est très-souvent long de trois décimètres;
dès la seconde , de quatre.; dès la troisième., de
cinq ou six; dès la sixième, de près de vingt; dès la
douzième, de vingt-cinq ou environ ; et cependant cet
animal destructeur arrive jusqu’à un âge très-avancé.
Rzaczynsky parle d’un brochet de quatre-vingt-dix ans.
En 1497 on prit à Kaiserslauteren, près de Manheitn,
un autre brochet qui avoit plus de six mètres de longueur,
qui pesoit cent quatre-vingts kilogrammes, et
dont le squelette a été conservé pendant long-temps à
Manheim : ilportoit un anneau de cuivre doré, attaché,
par ordre de l’empereur Frédéric-Barberousse, deux
cent soixante-sept ans auparavant. Ce monstrueux
poisson avoit donc vécu près de trois sièclès. Quelle
effrayante quantité d’animaux plus foibles que lui il
avoit dû dévorer pour alimenter son énorme masse
pendant une si longue suite d’années!
Le brochet cependant n’est pas seulement dangereux
par la grandeur de ses dimensions, la force de