carpes jouissent des facultés qui les distinguent. Ce
séjour que la Nature leur a prescrit depuis tant de
siècles, et sur lequel l’art ne paroît pas avoir influé, est
l’Europe méridionale. Elles ont été néanmoins transportées
avec facilité dans des contrées plus septentrionales.
Que l’on n’oublie pas que Maschal les porta en
Angleterre en 1^14 ; que Pierre Oxe les habitua aux
eaux du Danemarck en i 56o; qu’elles ont été acclimatées
en Hollande et en Suède *. Mais on diroit que
la puissance de l’homme n’a pas encore pu, dans les
pajs trop voisins du cercle polaire, contre-balancer
tous les effets d'un climat rigoureux. Les carpes sont
moins grandes, à mesure qu’elles habitent plus près
du Nord; et voilà pourquoi, suivant Bloch, on envoie
tous les ans, de Prusse à Stockholm, plusieurs vaisseaux
chargés d’un grand nombre de cës .cyprins.
Dans sa lutte avec la Nature, la constance de l’homme
a cependant d’autant plus de chances favorables pour
modifier l’espèce de la carpe, qu’il peut agir sur un
très-grand nombre de sujets. Les carpes, en effet, se
multiplient avec une facilité si grande, que les possesseurs
d’étang sont souvent embarrassés pour restreindre
une reproduction qui ne peut accroître le nombre des
individus, qu’en diminuant la part d’aliment qui peut
appartenir à chacun de ces poissons, et par conséquent
* Cpnsultez le Discours intitulé, Des effets de l’art de l ’homme sur la
nature des poissons.
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en rapetissant leurs dimensions, en dénaturant leurs
qualités, en altérant particulièrement la saveur de leur
chair.
Lorsque; malgré ces chances et ces efforts, l’espèce
s’est soustraite à l’influence des soins de l’homme, et
qu i! n’a pas pu imprimer à des individus des caractères
transmissibles à plusieurs générations, il peut
agir sur des individus isolés, les améliorer par plusieurs
moyens, et les rendre plus propres à satisfaire
ses goûts. Il nous suffît d’indiquer parmi ces moyens
plus ou moins analogues à ceux que nous avons fait
connoître en traitant des effets de l’art de l’homme
sur la nature des poissons, l’opération imaginée par
un pêcheur anglois, et-exécutée presque toujours avec
succès. On châtre les carpes comme les brochets; on
leur ouvre le ventre ; on enlève les ovaires ou la laite ;
on rapproche les bords de la plaie ;:on coud ces bords
avec soin: la blessure est bientôt guérie, parce que
la vitalité des différens organes des poissons est moins
dépendante d’un ou de plusieurs centres communs, que
si leur sang étoit chaud, et leur organisation très-rap-
prochée de Celle des mammifères ;■ et l’animal ne se
ressent du procédé qu’une barbare cupidité lui a fait
subir, que parce qu’il peut engraisser beaucoup plus
qu’auparavant.
Mais il est des soins plus doux que la sensibilité ne
repousse pas, que la raison approuve, et qui conservent,
multiplient et perfectionnent et les générations et les
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