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dire qu’il régnoit sur ceg lacs et sur ces fleuves, comme
la baleine sur l’océan. Ce privilège de la grandeur
auroit seul attiré les regards vers ce silure : ce qui est
grand fait toujours naître l’étonnement, la curiosité,
l ’admiration, les sentimens élevés, les idées sublimes.
À sa vue, le vulgaire surpris et d’abord accablé comme
sous le poids d’une supériorité qui lui est étrangère,
se familiarise cependant bientôt avec des sensations
fortes, dont il jouit d’autant plus vivement, quelles
lui étoient inconnues ; l’homme éclairé en recherche,
en mesure, en compare les rapports, les causes, les'
effets ; le philosophe, découvrant dans' cette sorte
d’exemplaire dont toutes les parties ont été , pour
ainsi dire, grossies, le nombre, les qualités,.la disposition
des ressorts ou des élémens qui échappent
par leur ténuité dans des copies plus circonscrites, en
contemple l’enchaînement dans une sorte de recueillement
religieux; le poète, dont l’imagination obéît
si facilement aux impressions inattendues ou extraordinaires,
éprouve ces affections vives, ces mouvemens
soudains , ces transports irrésistibles dont se compose
un noble, enthousiasme ; et le génie, pour qui
h'aun. Suède. 344.
Meiding. le . pisc. Austr. t. 9»
Mal. It.Scan. 61.
Silurus. A et. Stochh. 17S6 , p. '34 , t. 3.
Silurus cirris quatuor in mento. Arledi, gen. 82 , syn. n o .
Gronof. Mus. 1 , 11* z5 t t. 6 i f ig . r*
I) E S P O I S S O N S . 61
toute limite est importune, et qui veut commander
à l’espace comme au temps, se plaît à reconnoître
son empreinte dans le sujet de son examen, à trouver
une masse très-étendue soumise à des lois, et à pouvoir
considérer l’objet qui l’occupe, sans cesser de
tenir ses idées à sa propre hauteur.
Le caractère de la grandeur est d’inspirer tous ces
sentimens, soit quelle appartienne aux ouvrages de
l’art, soit quelle distingue les productions de la Nature
; quelle ait été départie à la matière brute, ou
accordée.aux substances organisées, et qu’on la compte
parmi les attributs des êtres vivans et sensibles. On a
dû également les éprouver et devant les jardins suspendus
de Babylone, les antiques pagodes de l’Inde,
les temples de Thèbes, les pyramides de Memphis, et
devant ces énormes masses de rochers amoncelés qui
composent les sommets des Andes, et devant l’immense
baleine qui sillonne la surface des mers polaires, l’éléphant,
le rhinocéros et l’hippopotame qui fréquentent
les rivages des contrées torrides, les serpens démesurés
qui infestent les sables brûlans de l’Asie, de
l’Afrique et de l’Amérique, les poissons gigantesques
qui voguent dans l’océan ou dominent dans les fleuves.
Et quoique tous les êtres qui présentent des dimensions
supérieures à celles de leurs analogues, arrêtent
nés regards et nos pensées, notre imagination est surtout
émue par la vue des objets qui, l’emportant en
étendue sur ceux auxquels ils ressemblent le plus,