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décrire, on ne rappelle que les contrées privilégiées des
zones tempérées, un climat doux, une saison heureuse,
un jour pur et serein, des rivages fleuris, des rivières
paisibles, des lacs enchanteurs, des étangs placés dans
des vallées romantiques ; des rapprochemens comme
pour une fête, plutôt que des associations pour affronter
des dangers souvent funestes; des jeux tranquilles,
et non des fatigues cruelles ; une occupation quelquefois
solitaire et mélancolique; un délassement après
le travail; un objet de rêverie douce, et non des sujets
d’alarme; tout ce qui, dans les beautés de la Campagne
et dans les agrémens du séjour des champs, plaît le
plus à l’esprit, satisfait la raison, et parle au coeur le
langage du sentiment.
L’attrait irrésistible d’un paysage favorisé par la Nature
se répandra donc nécessairement sur ce que nous
allons dire du premier des cyprins. Les eaux, la verdure
,‘ les fleurs, la beauté ravissante du soleil qui
descend derrière les forêts des montagnes, la douceur
de l’ombre, la quiétude des bords retirés d’un humble
ruisseau, la chaumière si digne d’envie de l’habitant
des champs qui connoît son bonheur; tous ces objets
si chers aux âmes innocentes et tendres, embelliront
donc nécessairement le fond des tableaux dans lesquels
on tâchera de développer les habitudes du cyprin le
plus utile, soit qu’on le montre dans une attitude de
repos et livré à un sommeil réparateur ; soit qu’on le
fasse voir nageant avec force contre des courans vio-
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lens, surmontant les obstacles avec légéreté, et s’élevant
avec rapidité au-dessus de la surface de l’eau ; soit
qu’on le représente cherchant les insectes aquatiques,
les vers, les portions de végétaux, les fragmens de
substances organisées, les parcelles d’engrais, les molécules
onctueuses d’une terre limoneuse et grasse,
dont il aime à se nourrir; soit enfin qu’il doive, sous
les yeux des amis de la Nature, échappera la poursuite
dés oiseaux palmipèdes, des poissons voraces, et du
pêcheur plus dangereux encore.
Les carpes se plaisent dans les étangs, dans les lacs,
dans les rivières qui coulent doucement. Il y a même
dans les qualités des eaux, des différences qui échappent
le plus souvent aux observateurs les plus attentifs, et
qui sont si sensibles pour ces cyprins, qu’ils abondent
quelquefois dans une partie d’un lac ou d’un fleuve, et
sont très-rares dans une autre partie peu éloignée cependant
de la première. Par exemple, le citoyen Noël
de'Rouen dit, dans les notes manuscrites qu’il nous a
communiquées, que dans la Seine on pêche des carpes à
Villequier, mais rarement au-dessous, à moins qu’elles
n’y soient entraînées par les grosses eaux; et le savant
Pictet, maintenant tribun, écrivoit aux rédacteurs du
Journal de Genève en 1788, que, dans le lac Léman,
les carpes étoient aussi communes du côté du Valais
que rares à l’extrémité opposée.
Ces cyprins fraient en floréal, et même en germinal,
quand le printemps est chaud. Ils cherchent alors les