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106' VOYAGE
au nord, les glaces s’éiaient rapprochées et la banquise
s’était de nouveau consolidée. La Zélée avait
été entraînée à près d’un mille sous le vent à nous. Le
dolmen qui nous avait donné tant de souci avait lui-
même dérivé de plus de trois câbles sous le vent.
Dans cette triste position, je n ’avais d’autre ressource
que la patience; seulement, des blocs d’une
glace bleue très-dure venant parfois heurter les flancs
de la corvette comme de pesants béliers, nous manoeuvrâmes
pour les écarter ; surtout nous employâmes
tous les moyens possibles pour garantir le gouvernail
contre les attaques des glaces, car une avarie
dans une pièce aussi essentielle pointait avoir les conséquences
les plus funestes.
Je ne fis faire le branle-bas qu’à sept heures, et
comme il tombait alors une neige très-épaisse, je laissai
l’équipage en repos, bornant son travail à écarter
les glaces qui nous menaçaient de trop près.
Persuadé qu’il n ’y avait rien à faire, j ’étais descendu
dans ma chambre, pour mettre au courant mon
journal arriéré par les trois dernières journées d’une
surveillance assidue. A huit heures, la brise ayant
varié au N. N. E. et même au N. E., M. Roquemaurel
vint me proposer l’appareillage. Je lui représentai
qu’avec des glaces aussi serrées, il nous était impossible
de faire aucun mouvement, à moins d’avoir
pour nous des vents bien établis du sud. M. Roquemaurel
persista dans son opinion et me demanda au
moins l’autorisation de faire im essai. J’y consentis et
l’engageai seulement à ne pas trop prolonger ses
efforts s’ils étaient impuissants, puis je me remis
tranquillement à ma besogne, sans bouger de ma
chambre, tant j’étais persuadé qu ils seraient inutiles.
Aussitôt M. Roquemaurel, aidé des autres officiers,
appareilla les huniers, la misaine et le grand foc,
s’aida des grelins, des pics et des pioches et fit agir
tous les bras du bord. Durant près de trois heures,
tous les efforts imaginables furent tentés pour acheminer
la corvette. Tout cela fut inutile, quoique le
vent eût fraîchi; VAstrolabe ne bougea point. Seulement
dans une risée et par l’effort du cabestan, j’appris
qu’un de ses flancs avait été émergé de deux à
trois décimètres. Enfin, je donnai l’ordre de cesser
tout ce travail et de faire serrer les voiles.
Le vent avait continué de fraîchir au nord, et c’était
désormais une pluie de neige fondue tombant par
larges gouttes. Le mugissement des vagues brisant
sur les bords de la banquise se faisait entendre sans
discontinuer, et la houle était devenue assez forte
pour imprimer un mouvement d’oscillation très-
sensible à toute la plaine glacée. C’était un spectacle
imposant que de voir cette immense nappe solide se
soulever et s’abaisser alternativement tout autour de
nous ; l’on eût dit d’une vallée couverte de neige subissant
les effets d’un tremblement de terre. Dès-lors il
fallut veiller avec plus de soin que jamais aux glaçons
que ces ondulations faisaient bondir avec plus de force
contre les flans de notre pauvre corvette.
Le soir, au moyen de deux jumelles et de quelques
espars nous renfermons notre gouvernail dans une