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Î.S3S.
Janvier.
fiO VOYAGE
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le monde ëtail sur les dents, et malgré tout ce que
notre position offrait de critique et d’inquiétant, acculés
comme nous l’étions au fond d’un golfe étroit,
profond et encombré de glaces dont la moindre eût
suffi pour écraser cent corvettes comme les nôtres, je
me décidai à passer la nuit sur place, afin de recommencer
le jour suivant, avec une nouvelle vigueur,
nos efforts pour sortir de la prison où nous étions
enfoncés si tristement.
Ayant donc à dix heures et demie choisi un endroit
où trois gros glaçons distants l’un de l’autre d’environ
cinq cents mètres, formaient une sorte d’espace
triangulaire, j ’établis au beau milieu de ce bassin les
deux corvettes en panne, avec recommandation aux
officiers de quart de manoeuvrer de manière à se
maintenir autant que possible en place. Le temps
était nuageux, mais beau du reste, et il soufflait une
jolie petite brise de l’est. Singulière position que celle
de ces deux corvettes passant paisiblement la nuit
entre trois glaces pour tout abri, et dont le saint dépendait
uniquement du caprice des vents et des courants.
Toutefois, nos équipages étaient tellement
aguerris contre les glaces, qu’ils ne témoignaient plus
aiicime sorte d’inquiétude et qu’on eût dit qu’ils s’en
rapportaient entièrement à moi du soin de leur sûreté.
J ’étais moi-même si fatigué, que je ne tardai pas à
dormir d’un excellent sommeil jusqu’à deux heures
du malin *.
' * Nf)(cs 3 5 , .Ki cl 3 7 .
Le temps était beau et nous avions une jolie brise
de l’E. S. E. J’en profitai pour laisser porter à
rO.N. 0. afin de doubler la banquise par le nord. En
effet, après nous être dégagés du labyrinthe de glaces
où nous étions enfermés, nous revîmes la plaine solide
courant désormais à l’ouest, et il fallut faire
rO. S. 0 . et même le S. 0 . jusqu’à sept heures, afin
de la prolonger à trois ou quatre milles de distance.
Au large, le nombre des glaces diminuait successivement
et nous commencions à pouvoir les compter.
Au lever du soleil, l’officier de quart, M. Marescot et
moi nous avons joui d’un spectacle magnifique. La
prodigieuse quantité de grandes glaces qui nous eu-
vironnaient, présentait l’aspect d’une immense ville
en marbre blanc, avec ses palais, ses dômes, ses aiguilles,
ses arcades et ses ponts tombant en ruines.
Par moments, quand les rayons solaires venaient
frapper sous un angle convenable les parois resplendissantes
de ces blocs de cristal, on eût dit des fenêtres
de cent palais reflétant les premiers feux du soleil
levant. Nous ne pouvions nous lasser d’admirer ces
effets magnifiques et tous deux enseniMe nous faisions
la réflexion que ce serait le sujet d’un admirable panorama,
si toutefois il pouvait être fidèlement rendu.
De huit heures à midi le ciel est embrumé, néanmoins
nous pouvons toujours poursuivre notre rouie
à l’ouest pour cotoyer la banquise, composée désormais
de glaces peu élevées mais flanquée de distance
en distance de morceaux de vingt-cinq à trente mètres
de hauteur. Ces blocs isolés sontsingulièremenl utiles
1S38.
25janvicr.