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l'évrier.
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A onze heures, je fus subitement réveillé par un
bruit d’une nature étrange et toute nouvelle. Tantôt
c’étaient des chocs brusques et violents, accompagnés
de fortes secousses qui rendaient un son semblable à
celui d’une grosse caisse ; comme si la corvette eût
touché contre des rochers. Tantôt c’étaient des tremblements
prolongés et en apparence si extraordinaires
qu’on eût dit qu’un puissant effort arrachait, et
broyait peu à p eu , tous ses bordages ; il faut avoir assisté
à pareille scène pour se représenter quelle singulière
impression elle produisait.
Au reste, au bout d’un moment de réfléxion, je
vis bientôt qu’après avoir dérivé tout au travers du
bassin où je m’étais amarré, Y Astrolabe avait ensuite
dû tomber sur les glaces où elle demeurait exposée
aux attaques de celles que le courant entraînait plus
vite qu’elle-même. En heurtant sa carène, les plus
dures et les plus dégagées produisaient les chocs brusques
et instantanés ; les plus longues et en même
temps les plus pressées par leurs voisines, en s’avançant
avec effort le long de ses flancs, occasionnaient
ces frottements pénibles qui semblaient la dé-
pécer.
En montant sur le pont, je vis que ces conjectures
étaient fondées. De toutes parts nous étions environnés
de blocs de glace assez rapprochés, mais laissant
encore à la corvette plus ou moins de liberté, suivant
que les groupes qui défilaient le long de ses bords
étaient plus ou moins compactes. Le vent, après avoir
varié du N. N. E. au N. N. 0. était enfin passé au
N. 0 . et avait aussi causé tous ces effets. Je commençai
même à croire que c’était la dérive des glaçons
bien plutôt que celle des corvettes qui avait
causé nos tribulations. En effet, les glaces chassées
dans la partie inférieure du bassin par le vent d’est
avaient dû être ramenées dans la partie supérieure
par le vent du N. 0 . et c’étaient ceux qui étaient
venus nous assiéger. Par suite, je sentis sur-le-champ
que la même cause pouvait très-bien m’avoir entièrement
fermé le passage, et dès-lors mes appréhensions
devinrent plus vives que jamais. Après to u t, comme
il n ’y avait absolument rien à faire, je jugeai inutile
de fatiguer l’équipage et je retournai me coucher,
en recommandant seulement à l’officier de quart de
m’avertir s’il était menacé de l’approche d’une montagne
de glace. C’était ce que je redoutais le plus et
ce qui n’eut pas lieu, par un bien grand bonheur.
Je me relevai à deux heures du matin. Il ventait
alors grand frais d’O. N. 0 . Le temps était brumeux
et le jour ne nous permit qu’à deux heures et demie
de reconnaître notre position. Mon premier soin fut
de chercher des yeux notre conserve, car je redoutais
singulièrement une séparation. En effet, il était peu
probable qu’à la distance où les deux corvettes se
trouvaient, elles eussent éprouvé durant six ou sept
heures de nuit les mêmes impulsions. L’une d elles
pouvait se trouver stationnaire entre des glaces plus
rapprochées, tandis que l’autre pouvait dériver sur
une eau plus dégagée. Ce fut donc avec une indicible
joie que nous la vîmes à moins d’un demi-mille de
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