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i. J
1838. Février.
102 VOYAGE
plaques de sang, un bâton et deux ou trois morceaux
de biscuit. Nous fîmes là-dessus mille conjectures,
puis nous appiîmes que ces objets avaient été reconnus
par un matelot qui avait participé îa veille au
massacre des phoques et qui les avait oubliés sur la
glace. Ainsi, toutes nos courses n’avaient abouti qu’à
tourner dans un espèce de lagon, pour nous ramener
précisément au même point au bout de vingt-quatre
heures environ.
Toute l’après-midi, il fit beau et même assez doux.
Mais le soleil ne parut point et je regrettai beaucoup
son absence, car il me semblait que la chaleur de ses
rayons aurait suffi sinon pour fondre les glaces, au
moins pour diminuer sensiblement leur compression.
Les travaux pénibles qu’ils exécutaient ne diminuaient
point la gaieté de nos marins, qui couraient de glace en
glace en sautant et riant à qui mieux mieux de leurs
fréquentes culbutes. Les officiers eux^mêmes, dès
qu’ils avaient un moment de libre, allaient comme
Pl. XXI. de véritables écoliers, prendre leurs ébats sur la glace,
à la chasse des phoques ou des pétrels géants.
Dix heures d’un travail assidu avaient réussi à nous
faire avancer d’un mille environ dans les glaces. Sans
doute c’était peu de chose, mais c’était un progrès, et
en le répétant, nous pouvions espérer d’être dégagés
en quatre ou cinq jours au plus. Pour mieux m’é -
clairer, vers six heures et demie, j ’envoyai le maître
voilier Rougier, homme actif et vigoureux, en découverte
vers la pleine mer. A son retour, il me rapporta
qu’il avait cheminé au moins deux milles sur
la glace, et que la mer était encore loin, qu’à mesure
qu’on approchait des bords de la banquise, les glaçons
devenaient plus gros, plus durs et plus dangereux,
enfin, qu’il avait cru voir au-delà de la pleine mer
une autre barrière. Ce rapport n’avait rien de rassurant
; la grosse houle qui brisait sur le bord de la banquise
, dont le vent nous apportait les mugissements
et dont nous commencions à sentir les effets, me
confirmaient, il est vrai, dans l’opinion que nous
pourrions gagner par là une mer lib re, mais je pressentis
que nos opérations du hâlage deviendraient
peut-être impossibles, quand nous cesserions d’avoir
des points d’appui stables, et qu’en outre nos corvettes,
battues de toutes parts par de gros blocs d’une
glace très-dure, pourraient bien finir par s’y démolir.
Je jugeai que le ciel seul pouvait nous tirer d’une
position aussi critique. Il n’y avait qu’un fort vent de
la partie du sud qui pût à la fin détendre les glaces
resserrées par les vents frais du nord qui avaient régné,
et nous permettre de les refouler avec nos navires.
A huit heures du soir, nous étions parvenus à cent
mètres d’une large glace en forme de table, assise sur
trois ou quatre autres glaçons plantés debout, ce qui
la rendait semblable à un grand dolmen. La houle ,
pénétrant par des ouvertures pratiquées au dessous,
s’élançait par moment avec un bruit affreux et annonçait
qu’il n ’eût pas été sage de l’accoster avec
nos navires. Aussi j ’eus soin de placer Y Astrolabe à
une distance raisonnable et de bien l’amarrer avec
deux grebiis. Du reste, j ’étais bien aise d’avoir près