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Janvier.
46 VOYAGE
assez rapidement vers le sud. A midi notre latitude
est de 62° 53' S. Une douzaine de grosses glaces se
maintiennent régulièrement en vue, et nous sommes
tellement familiarisés avec ce spectacle, qu’au lieu de
nous inquiéter, cela nous amuse, en variant la monotonie
de notre navigation et donnant à notre curiosité
un aliment toujours nouveau*.
A une heure nous passions à une demi-encablure
au vent d’un glaçon long d’environ 100 mètres sur
15 ou 16 d’élévation. Sur les parties où battait la lame,
sa surface reflétait des teintes admirables du plus
beau bleu d’outre-mer. Le reste était d’un blanc de
neige avec de larges fissures, qui semblaient dues à
des couches successives, et indiquer par conséquent
un renversement complet, comme si elle avait passé
de la position horizoqtale à la verticale, par suite d’un
renversement. Sur une des parois, ont eût dit des bas-
reliefs taillés au ciseau, mais examinés à la longue-
vue, ces cristaux de glace rappelaient parfaitement
la forme des grès cristallisés de Fontainebleau. Plus
tard nous avons fréquemment observé de ces cristaux
semés sur la surface supérieure des îles de glace, où
ils adhèrent fortement ; c’est ce qui fait qu’au moment
où l’île chavire, ils demeurent encore appliqués
contre les parois devenues verticales, après leur culbute.
Dans l’après-midi, les plus heureuses circonstances
nous favorisent ; la mer est très-douce, le temps beau.
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îhorizon si dégagé que nous découvrons les hautes
glaces à 15 et 16 milles de distance. Enfin, une jolie
brise du S.S.O.nous permet de filer de 5 à 6 noeuds au
S. E. Nous avons déjà rallié à quelques lieues la trace
de Weddell quand il revint de sa pointe, et jusqu’à
ce moment nul obstacle sérieux ne semble s’opposer
à nos projets. AuSsi chacun se berce à bord des plus
belles espérances, et les plus modestes ne voudraient
pas borner leurs prétentions au-dessous du chiffre
de 80° S. Moi-même, partageant fillusion générale,
après avoir passé près de dix-huit heures sur la dunette,
je me couche à dix heures du soir, et m endors
du meilleur sommeil.
A minuit, suivant ma coutume invariable, je m’étais
fait rendre compte des circonstances ; puis apprenant
que nous continuions de filer de 3 à 4 noeuds au
S. E. sur une belle mer, je m’étais rendormi comptant
atteindre presque le 65” degré pour le midi suivant.
Mais à trois heures 45 minutes, je suis éveillé en
sursaut par les cris de la vigie qui annoncent que le
passage est barré. Je saute à l’instant sur le pont, et
je reconnais en effet qu’un immense champ de glaces
compactes et accumulées les unes sur les autres, s’étend
à toute vue du S. 0 . au N. N. E. en passant par
le sud. Nous sommes déjà arrivés à l’infranchissable
Banquise^ et nous n’en étions pas à plus de 2 milles.
1 A l’exemple de nos pêcheurs de morue du Nord, j’emploierai
constamment le mot Banquise pour exprimer le bord des plaines
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