monde à les rassurer de ce côté ; comment, en effet, eussions-nous
fait pour remplacer de pareils hommes? Les uns se plaignaient
d’oppressions, d’autres de douleurs dans tous les membres , de
points de côté , et de maux de bouche. Sous toutes ces formes diverses,
leur maladie n’était que l’affreux scorbut, maladie engendrée
par le séjour à la mer et que la terre seule pouvait guérir, et
nous en étions encore bien loin !... Et le progrès rapide du mal
faisait craindre qu’il n’y eût beaucoup de victimes. Le nommé
Lepreux, qui était malade depuis trois mois, était dans ce moment
dans un état désespéré.
( M. Dubouzet.)
Note i4g, page 187.
Le nommé Lepreux, malade depuis près de 4 mois, était alors
dans un état désespéré ; le scorbut avait fait des progrès effrayants
sur cet homme qui, lors de notre départ de Toulon , paraissait
fort et bien constitué, Le docteur me prévint qu’il s’attendait à
chaque instant à le voir succomber, et effectivement il rendit le
dernier soupir au milieu de la nuit suivante. Notre entrepont
ressemblait à un véritable hôpital ; à peine s’il restait de la place
pour permettre de tendre les hamacs des quelques marins qui
étaient encore valides. Plusieurs de nos malades éprouvaient des
souffrances aigués , et leur état réclamait notre prompte arrivée
dans le port ; tous les moyens à notre disposition étaient journellement
employés, et ne produisaient aucune amélioration. Depuis
quelques jours nos forces étaient tellement réduites que,
pour la moindre manoeuvre, les officiers et les maîtres étaient
appelés pour mettre la main sur les cordes. De plus, nous commencions
à craindre d’avoir à déplorer la perte de quelques
hommes, pour peu que les contre-temps continuassent, et que
notre séjour à la mer se prolongeât.
[M. Jacquinot.)
Note i5o, page 187.
Le vent se fixa définitivement au S. O., et quoique la mer fût
affreuse, nous fîmes assez bonne route. A minuit, nous eûmes la
douleur de voir succomber, après une agonie de plusieurs jours,
le nommé Lepreux qui, depuis trois mois , était atteint de scorbut.
Cette mort qui, pour la première fois, venait éclaircir nos
rangs, fut vivement sensible à tout le monde ; nous eûmes soin
de la cacher aux autres malades qui, heureusement, ne se doutaient
pas eux-mêmes qu’il étaient atteints du scorbut. Ses camarades
lui prodiguèrent pendant sa maladie, des soins dignes des
plus grands éloges, et cet homme qui se sentait mourir plusieurs
jours d’avance, montra dans ses derniers moments un
calme et une résignation admirables, fit ses adieux à tout le monde
et ses dernières dispositions avec une grande présence d’esprit,
manifesta une foi très-vive et des sentiments religieux qui sont
beaucoup moins rares chez les marins qu’on ne pense, et que
l’intolérance philosophique du siècle ne veut le reconnaître. Cela
me porterait à penser que si les matelots étaient consultés chacun
sur l’utilité d’avoir à bord des grands navires un ministre de leur
l’eligion, la décision de la majorité serait peut-être tout-à-fait
opposée à celle de l’opinion publique qui la repousse ; opinion
qui n’est que celle des états-majors et des personnes qui dirigent
le gouvernement, qui seuls se considèrent en droit de décider
cette grande question, qui l’enferme cependant en elle le grand
principe de la liberté de conscience, violé aujourd’hui à f égard
de ceux qui croient; puisque l’Etat ne regarde pas pour lui comme
une obligation de leur favosiser les moyens d’exercer leur religion
quand ils sont à son service.
( M. Dubouzet.)