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souvent les corvettes restaient sans mouvement. Alors, ou la
pression continue de nos navii’es finissait par communiquer aux
plus lourdes glaces le mouvement nécessaire à leur écartement,
ou il fallait encore recourir au cabestan,. A faide de cette machine,
nous parvenions, en portant sur la glace de fortes amarres
que l’on fixait sur des blocs éloignés, à dégager légèrement notre
avant et à diminuer ainsi la résistance qu’il rencontrait sur sa
route. Souvent, nous prenions tout à coup notre essor, et nous
passions plus rapidement que nous ne l’eussions voulu près de
glaces élevées dont les angles saillants menaçaient de briser nos
chaînes de porte-haubans. Cet accident eût gravement compromis
notre mâture , seul lévier efficace contre tant de résistances.
La mer se rapprochait ; nos espérances acquéraient en probabilité.
Les glaces devenaient de moins en moins serrées ; mais
d’autres geni-es de dangers semblaient nous poursuivre pour entretenir
nos anxiétés. En vain nous diminuions de voiles, afin
d’affaiblir les chocs inévitables et de donner le temps de rattraper
le bord aux matelots que la manoeuvre des grelins avait retenus les
derniers sur les glaces. Poussées par un vent impétueux, les corvettes
acquéraient trop de vitesse, et nous entrevîmes le moment
où nous allions laisser loin derrière nous quelques-uns de nos
braves compagnons. Ah! dans ce moment, chacun de nous n’eut
d’yeux que pour eux ; nous ne vîmes que le danger qui les menaçait
Mais à peine ce moment douloureux était-il passé
que d’autres émotions lui succédèrent. La Zélée d’abord, l'Astrolabe
ensuite, franchissaient la limite de la banquise.
Comment donner une idée de ces minutes d’incertitude où
l’épée de Damoclès était sur nos têtes ? Où est le grand peintre
qui oserait concevoir et exécuter ce tableau ? Comment offi’irait-ii
aux yeux ce chaos de débris innombrables, cette multitude de
formes bizarres? Comment donner le sentiment de tant de mouvements
désordonnés, du roulis des glaces ballotées en tous sens,
s’inclinant, se relevant, qui retombent, et que l’on croirait s’agiter
au milieu de l’écume de la mer pour ressaisir une proie qui
leur échappe ? Comment peindre cette mer qui brise en tant de
manières, s’élance en gerbe, déferle, roule d’immenses lames et se
précipite en cascade au-delà de l’obstacle quelle franchit? Il
semblait que de longs fantômes s’élevaient de l’abîme , et que ce
désordre , emblème de leur sinistre joie, promettait des victimes.
Enfin , malgré les dangers qui nous environnaient de si près ,
et que nous devions à un reste de houle élevée la veille par le
vent du nord, à quatre heures du soir, nous étions libres. Pour
se faire une idée de la force du vent auquel nous devons notre
délivrance, il suffira de dire que , pendant un moment, nous
filâmes huit noeuids presque à sec de voiles. Nous avons passé la
nuit à la cape , et ce matin , à l’aube du jour , nous avons repris
notre cours vers l’est, longeant toujours cette éternelle banquise.
Que nous présage l’avenir? La fortune de Weddell nous sourira
t-elle enfin? Le passé ne nous engage pas à bien préjuger
de l’avenir, sous le rapport des passages découverts par ce navigateur
; partout où nous avons croisé sa route, nous n’avons
trouvé qu’une barrière impénétrable. 11 est tres-extraordinaire
qu’il ait rencontré un passage aussi complètement dégagé qu’il le
dit, précisément dans un des parages du grand Océan où se
trouve un aussi grand nombre d’îles élevées. En effet, elles arrêtent
les glaces, elles servent de noyau à leur accumulation, de
pointd’appui aux angles saillants de la banquise ; elles produisent
elles-mêmes une énorme quantité de glaçons ; leurs fidaises sont
les moules de ces grands parallélogrammes connus conimuiié-
meut sous le nom de montagnes de glace. Or, il est évident que
ces immenses murailles encombrent aussi la surface de la mer, et
que leurs débris contribuent à la formation de ces champs de
glaces malencontreux que l’on nomme banquise.
Que l’on atteigne une très-haute lalilude sud entre iG3°(C
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