coup de voiles, à tel point que la mâture fatiguait considérabic-'
ment. Les glaces cédaient de plus en plus, cependant nous étions
souvent arrêtés, et il était évident que nos voiles pouvaient seules
nous permettre de refouler ces glaces devant nous , et qu’il fallait
ou se résigner à rester pris dans les glaces avec la masse qui commençait
à geler, ou continuer la lutte à nos risques et périls. Souvent
nous éprouvions les plus violentes secousses, et nous étions
arrêtés tout d’un coup après avoir pris de faire contre des masses
qui s’élevaient de cinq ou six mètres au-dessus du niveau commun
, et qu’il était très-difficile de faire obéir. La corvette venait
alors en travers, et nous craignions que la mâture ne pût résister.
Nous fûmes cependant assez heureux pour ne pas faire d’avaries,
et vers quatre heures nous étions déjà à quelques pas de la limite
de la banquise, le vent soufflait alors grand frais du sud, et nous
réussîmes enfin à atteindre, grâce à ce vent providenlieb la pleine
mer, qui fut saluée de toutes nos acclamations. Il semblait que
chacun sentît par instinct que nous étions sortis d’une prison.
Nous n’étions pas encore cependant hors de tous dangers, car on
voyait les abords remplis de petites glaces errantes assez élevées ei
très-dui’es, au milieu desquelles il fallut passer avec une vitesse
de plus de six noeuds , quoiqvie nous eussions serré toutes les
voiles. \2Astrolabe, qui fut retardée pendant un temps par un
amas de grandes glacés, au milieu desquelles elle tomba, nous
suivit quelques temps après ; à six heures, la mer étant tout-à-fait
dégagée, nous prîmes alors la cape tribord amures pour reprendre,
après le coup de vent, notre exploration vers fest. Le
vent souffla pendant la nuit avec une grande violence ; nous
eûmes cette fois des avalanches de neige comme nous n’en avions
pas encoi’e ressenti, et le froid dépassa tout ce que noUs avions
éprouvé, car le thermomèü’e descendit à —6°5, tempéi’ature bien
rigoureuse sous voiles. Le froid nous fit nous féliciter encore
davantage d’avoir pu, grâce à nos efforts pour ainsi dire désespérés
, sortir de la banquise avec ce coup de vent, car si nous fus.
Ul
sions restés dedans , les glaces se seraient toutes soudées , nous
aurions fait coi’ps avec elle , et notre délivrance, ajournée pour
quelque temps, serait devenue de plus en plus problématique,
puisque dans le mois le plus favorable de f été, le climat se montrait
si rigoureux.
Avant cette dernière manoeuvre , à laquelle nous dûmes notre
salut, j’étais porté à penser que n o s corvettes étaient un peu trop
grandes pour ce genre de navigation, et que des bâtiments plus
petits etplus courts et qui pourraient évoluer plus vite, présenteraient
plus d’avantages. Mais elle me convainquit de la remarque
du capitainePaiTy,surlanécessité d’avoir, en pareil cas, un bâtiment
qui offre une assez grande masse pour refouler les glaces,
quand il a reçu une impulsion. Car celles qui cédaient devant
nous avec tabt de peines et d’efforts, auraient probablement offert
une résistance invincible à des bâtiments plus faibles qui ri auraient
pas pu profiter de ce vent favorable. Grâce a leur admirable
solidité , les nôtres peuvent supporter, sans faire d’eau, de
pareils efforts , et grâce sans doute à la disposition de leur arrimage
qui, ne laissant aucun vide dans la cale, transformait toutes
les oeuvres vives en une masse compacte ne présentant aucun
faible. Nous n’eûmes en sortant de là que de bien faibles avaries;
la partie qui souffrit le plus fut le doublage , surtout de favant,
où il y eut un grand nombre de feuilles de cuivre enlevees ;
favant fut un peu endommagé, ainsi que certaines parties du
soufflage. Les craquements qu’avait éprouvés la corvette, avaient
eu quelque chose d’effrayant qui grossissait le danger, quelque
réel qu’il fût.
(M. Dubouzet.)
Note 85 , page ii4 -
Même temps, pluie continuelle, fortes rafales du N. N. O.
La pluie produit un commencement de fusion dans la neige su-
- 'IT J