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1810.
8 A v ril.
nous laissa sans mouvement ; depuis dix heures du
matin jusqu’à deux heures de Taprès-midi, nous ne
bougeâmes pas de place; impatienlë de voir nos
efforts constamment paralysés par les calmes qui
ne cessaient de nous poursuivre depuis notre départ
d’Otago, je donnai l’ordre d’armer les avirons
de galère pour atteindre le port; en même temps
j’envoyai un officier dans le canot-major pour en reconnaître
l’entrée, qui, vue de la mer, paraissait
barrée par des récifs. A deux heures, grâce à une
fraîcheur de N. E., et à nos avirons de galère, nous
étions parvenus à nous rapprocher considérablement
de la côte, tandis que la Zélée, spectatrice de notre
manoeuvre, restait au large en attendant des vents
plus propices. Nous parvînmes bientôt à ranger de
très-près les falaises qui forment l’entrée orientale
de la baie; nous doublâmes avec bonheur un petit
îlot qui s’étend à 80 mètres environ de cette pointe,
et nous atteignîmes les eaux décolorées qui, vues du
large, nous avaient fait craindre que le port ne fût
barré.
Arrivés au milieu de la passe, la faible brise
qui nous avait soutenus jusque-là, tomba tout à
coup, et, malgré nos avirons de galère, VAstrolabe
fut rapidement emportée par le courant vers la
pointe occidentale de la baie ; le ressac des brisants
nous fit parer miraculeusement quelques roches à
fleur d’eau sur lesquelles la mer brisait avec violence;
mais le courant continua à nous entraîner
vers la falaise qui limite la baie; elle s’élevait comme
une muraille au-dessus de notre tête, et les rochers
qui forment sa ceinture n’étaient pas à plus de 10
mètres des flancs de notre navire. Dans cette position
critique, un échouage était presque inévitable, et il
aurait infailliblement entraîné la perte du navire, ainsi
que celle de la majeure partie de l’équipage. Chacun, à
bord de V Astrolabe, avait mesuré de l’oeil la hauteur de
cette falaise, qui surplombait nos têtes et au pied de
laquelle il ne nous restait aucune chance de salut.
Devant l’imminence de ce danger, chacun redoubla
d’ardeur en forçant sur les avirons de galère ; mais les
efforts de l ’équipage, déjà impuissants à refouler
le courant, ne pouvaient lutter contre le ressac de la
lame, dont les éclats jaillissaient jusque sur nous. Le
canot-major s’était aperçu du danger que nous courions;
il accourut avec une baleinière du port pour
prendre la touiine, mais toutes ces tentatives furent
infructueuses devant la violence du courant et du ressac
des lames; XAstrolabe était condamnée à une
perte certaine, si dans ce moment la brise ne fût
venue à point nommé pour nous arracher à ce péril
imminent. Les voiles avaient été serrées quelques
instants auparavant; elles furent établies précipitamment
; aussitôt XAstrolabe s’éloigna de cette falaise
qui avait failli lui devenir si fatale, et deux heures
plus tard elle était tranquillement assise sur ses ancres
au fond de la baie. Quelques instants après, le
grand canot de la Zélée arrivait à bord ; le capitaine
Jacquinot en reconnaissant la position critique où
nous nous trouvions deux heures auparavant, s’é -