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voiles et mouiller ; notre surprise fu t grande , et nous pensâmes
aussitôt qu ’u n e pareille manoeuvi’e ne pouvait être suscitée que
par u n péril pressant. Les ordres furent donnés immédiatement
p ou r l’im ite r; mais avant que leur exécution p û t être effectuée,
n ou s avions déjà d iminué de beaucoup la distance q u i nous séparait
d’e lle , et à peine l’ancre était-elle au fond, quoiqu e cependant
la sonde eû t rapporté troisbrasses, que la Zélée talonna avec
force et éprouva des secousses q ui ébranlèi’ent la mâture. N ou s
mîmes immédiatement les embarcations à la mer et n ou s élongeâ-
mes de« ancres dans la direction que nous avions suivie en
entrant. Malheureusement la mer commençait alors à descendre
avec force ; elle paralysa nos efforts et nous contraignit à rester
o ù nous étions. Néanmoins, afin de prévenir la ch u te du navire
sur u n des côtés, nous tentâmes de placer des be'quilles ; nous
luttâmes longtemps pour amener cette opération à bonne fin ;
nous fûmes enfin forcés d ’y renoncer, et nous dûmes céder à la
violence d u courant, q u ’il était impossible de surmonter.
A sept heures d u soir, la mer était é ta le , et à neuf h e u r e s ,
après deux heures de flot, la Zélée se trouvait entièrement dégagée.
Nous reprîmes les travaux, n ou s virâmes su r les ancres, et
déjà nous avions gagné assez de terrain p ou r être s û r s , avec
quelques nouveaux efforts, d’atteindre bientôt u ne bonne situ a tion
, lorsque les câbles cassèrent, n ou s firent perdre ce que nous
avions obtenu avec tant de p eine et nous livrèrent derechef
aux caprices de la brise et des courants, q u i agissaient alors avec
la p lu s grande violence. En p eu de m in utes, n ou s fûmes de n o u veau
collés sur les ^brisants, et de sinistres secousses vinrent
encore u n e fois nous révêler combien l’existence de notre pauvre
corvette était aventurée. II ne fallait plus alors songer à élonger
de nouvelles ancres ; tout était contre n ous ; tout s’opposait à de
semblables manoeuvres qu ’aucune force humaine n’eût p u accomp
lir . N ou s dûmes n ou s livrer au x travaux qu ’il était encore en
notre puissance de tenter ; nous soulageâmes le gouvernail; les
mâts de perroquet furent dépassés et les mâts de h u n e calés.
Bientôt cependant les secousses cessèrent, et la mer, en se retirant,
nous laissa assis sur le banc avec une inclinaison de vingt
degrés sur bâbord.
L e jo u r v in t nous montrer Y Astrolabe dans une position non
moins c ritique que la nôtre. Ainsi que la Zclée, elle était sur
le r é c if, avec cette différence qu’elle inclinait sur bâbord d’environ
3o à 35 degrés, et présentait les apparences d ’un navire
totalement n a u fr a g é .ü u reste, il est ju ste de dire qu ’en ce moment
les deux navires paraissaient avoir terminé leur c a r r iè ie , et
que leur salut semblait désormais impossible. Vers la fin du
ju sa n t, la sonde ne rapportait que deux pieds sur tribord et
quatre pieds à bâbord. Nous ne perdîmes cependant pas tout
espoir, et n ou s nous hâtâmes de profiter de 1 état de la mer
pour envoyer des ancres et prendre toutes les dispositions
c on v en ab le s, afin d’être entièrement préparés à utiliser la
marée suivante.
Notre espoir était bien faible, et l’avenir se présentait à nous
sous un aspect triste et accablant. T r en te -tro is mois de campagne
étaient écoulés, le voyage était sur le p o in t de fin ir ; chacun de
n ou s, quelques jours au paravant, envisageait avec joie l’instant
du retour et se livrait à ses projets : quel changemeiU s’élait
opéré d ep uis! Nous nous voyions obligés de laisser sur un p o in t
in con nu les collections et les matériaux amassés avec tant de
p e in e , recueillis au milieu de tant de dangers! Nous perdions
tou t, et, pour conserver notre existence, il nous faudrait désormais
entreprendre, sur de mauvaises embarcations, une traversée
longue et d an g e r eu se , avant d’atteindre u n point q u i nous
offrît les chances d’êti'e enfin rendus à notre patrie.
Nos matelots, insouciants par n a tu r e , comme le sont tous les
hommes appartenant à cette classe, tenaient u ne conduite admirable,
ils entrevoyaient cependant la gravité de notre po sition,
ils exécutaient les ordres donnés avec autant de calme et de gaieté
que s’il se lû t agi d’un simple virement de bord en pleine eau.
La mer ne monta que de quatre pieds durant le jo u r , et vint
encore faire évanouir les chances sur lesquelles nous avions
compté. Dès lors, il était temps de penser aux grands moyens; le
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