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72 VOYAGE
et, pour comble de contrariétés, la marée reversa vers
quatre heures du soir. La bonne embarcation, vigoureusement
nagée, finit cependant par doubler. En
approchant des terres, la mer, le v ent, devinrent
moins forts, et à sept heures, nous vînmes atterrir au
pied d’un petit cap, et dans une jolie baie formée par
les îles de Saint-Âignan et la pointe N. E. de la presqu’île
de Tasman. Tout, dans ce pays, rappelle la
marine de France. Ce sont des navires, des embarcations
françaises qui les premiers sillonnèrent ces
eau x , ét la plupart des bancs, des terres du large,
portent encore des noms français. Les canotiers, qui
avaient les avirons sur les bras depuis sept heures,
étaient harassés de fatigue. Il ne fallait pas penser à
atteindre Port-Arthur dans la journée, nous ne pouvions
tout au plus que gagner l’établissement des
mines; enco re, pour cela, fallait-il doubler une
pointe qui se prolongeait fort avant, et nous n’aurions
pu y arriver que tr è s-ta rd . Je me décidai à
prendre la voie de terre , d’autant plus que le temps
menaçait et que je voyais de gros grains noirs se former
à l’horizon.
Je pris l’un des canotiers pour me servir de guide,
et m’acheminai vers une maisonnette qui domine le
cap. C’était un poste de constables. En quittant le
poste, nous nous trouvâmes dans une épaisse forêt,
où nous marchions dans un petit sentier à peine
frayé au milieu de hautes herbes, espèce de fougère
entremêlée d’ajoncs. Aiguillonné par un furieux
appétit, poussé par la crainte de recevoir sur le dos
un gros grain qui montait avec rapidité, j^allongeais
le pas le plus possible ; mais j’eus beau faire , il
élait écrit que je devais le recevoir ; j’étais à peine
à mi-chemin que la pluie tomba à torrents. L obscurité
était profonde, et j’avais une frayeur mortelle
que mon guide ne perdît le sentier. La pluie ne
discontinuait p a s, et il eût été par trop dur de passer
la nuit dans les bois par cet horrible temps. J’aperçus
enfin les lumières de l’établissement ; là, mon convict
me prit par la main, en me recommandant de marcher
avec la plus grande precaution ; le terrain était
creusé de tous côtés par les mineurs, et il fallait une
grande habitude des lieux pour ne pas se casser le
cou.
Nous arrivâmes ainsi sans encombre devant un petit
cottage ; c’était la maison de Tofficier commandant
le poste. J’étais, à la lettre, ruisselant d’eau. Monbôte
commença par me mener devant un bon feu, où je
me changeai de la tête aux pieds. Puis, après m avoir
forcé à m’envelopper dans une confortable robe de
chambre, il me conduisit devant une table toute servie.
Il m’attendait depuis quatre heures, et craignant
que je me fusse égaré dans les bois (chose à ce qu’il paraît
fort commune), il venait d’expédier des hommes
à m a recherche. M. Mackay, capitaine au 5 1" , est détaché
depuis près de deux ans dans cet odieux trou ,
avec une section de sa compagnie, et il est chargé de
la surveillance des convicts qui travaillent aux mines;
c’est véritablement du dévouement. Le seul plaisir
qu’il puisse prendre est la chasse ; aussi, M. Mackay