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1840.
Avril.
abandonnées parce que leurs propriétaires étaient
morts; c’est là un reste des vieilles habitudes du
pays qui ne peut tarder à disparaître au contact des
indigènes avec les Européens, chez qui la mort
d’un parent appelle toujours si vite la présence des
héritiers dans la demeure du défunt. A côté|de l ’une
de ces habitations, je remarquai un tombeau entouré
de fortes palissades et recouvert de planches sur lesquelles
étaient étendues plusieurs nattes ; le dessus
était chargé de branches d’arbres et de pierres. Ce
tombeau, fraîchement élevé, était celui d’un jeune
indigène, qui, ayant eu dernièrement le malheur de
tuer un blanc pendant qu’il était iv r e , s’était ensuite
suicidé avec sa femme d’un même coup de
fusil, dans la crainte d’être saisi par les Anglais du
village et d’être envoyé à Sidney.
« Je fus témoin là d’une scène déchirante : la malheureuse
mère de ce jeune homme, inconsolable de sa
perle, était étendue à quelques pas du tombeau ; le visage
contre terre, elle faisait retentir l’air de ses sanglots
; suivant la coutume des Zélandais, elle s’était fait
de nombreuses incisions avec une pierre tranchante
qu’elle portait suspendue à son cou ; le sang ruisselait
sur toutes les parties de son visage; ses cheveux,
dans un désordre complet, flottaient sur ses épaules,
et ses traits portaient l’empreinte d’un violent désespoir
; bien certainement, cette malheureuse mère, en
se mutilant ainsi, obéissait bien plus encore aux sentiments
de son coeur ulcéré qu’à la coutume barbare
que le deuil impose aux femmes chez ce peuple ; l’infortunée
pleurait un fds unique, et les indigènes qui
l’entouraient, quoique bien moins sensibles que moi a
cette scène douloureuse, semblaient cependant respecter
sa douleur. »
La mort de l’Américatn dont il a déjà été question
et qui avait été suivie d’une double catastrophe de la
part de son meurtrier, avait jeté l’alarme parmi les
Européens. Les moeurs des indigènes ne sont point,
en effet, suffisamment modifiées pour qu’ils renoncent
facilement à des idées de vengeance ; les Européens
redoutaient qu’ils ne leur attribuassent la cause de la
mort de cet homme, et qu’ils ne voulussent exercer
sur eux de sanglantes représailles ; aussi ils vivaient
dans une méfiance marquée, et j’eus bientôt la preuve
de la vivacité de leurs alarmes. La veille de notre départ,
le nommé Broivn vint me trouver et me supplia
instamment de le conduire, lui et sa femme (indigène
d’Otago), à la Baie des Iles; le seul motif qu’il donnait
pour appuyer sa demande était la crainte d’être prochainement
massacré par les naturels. Je refusai d a-
bord, mais en considérant que cet homme était fixé depuis
vingt-deux ans sur la Nouvelle-Zélande, et qu’il
pourrait se rendre utile en qualité d’interprète, je lui
accordai sa requête, plutôt, je l’avoue, en faveur des
services qu’il pourrait me rendre, que par l’intérêt qu’il
avait pu m’inspirer. Plus tard, je reçus d’autres demandes
de ce genre, mais je dus les refuser, à 1 exception
de celle d’un Anglais qui avait rendu quelques
services à nos officiers, et qui paraissait, par ses
antécédents, mériter cxceptioimcllement un intérêt
particulier.