1840.
Avril.
- «
I T ;
i ’
m
leur élal actuel après des contacts fréquents avec les
Européens. « Le village indigène, dit-il, qui se trouve
près des habitations des Européens, se compose d’une
trentaine de cases assez misérables, dont l’architecture
est bien inférieure à celle des autres Polynésiens.
La première fois que je visitai ce village, un des indigènes,
que je reconnus pour le chef, à l’air de dignité
qu’il conservait malgré son costume européen et malgré
l’abus qu’il faisait des liqueurs fortes, vint au-
devant de moi et me tendit à la fois la main et le nez
pour me saluer à la mode anglaise et à la mode polynésienne
; il m’offrit ensuite de me vendre des terres ;
repoussé dans ses offres, il me poursuivit pendant
longtemps pour obtenir mon hahit et mes épaulettes ;
une douzaine d individus, qui se trouvaient avec lui,
et qui, comme lu i, étaient couverts de haillons européens,
renouvelèrent auprès de moi les mêmes instances,
en ajoutant les offres les plus révoltantes, et
qui me donnèrent une triste idee de leur moralité
actuelle.
«Son fds, jeune homme fort intelligent, qui se
trouvait là, ayant appris que je désirais acheter des
nattes de phormium, me conduisit à la maison de
son père. Plein des récits que j’avais lus dans les livres
de voyages, je m’attendais à trouver une espèce
de forteresse; mais je fus fort étonné quand, arrivé
sur une espèce de plateau, dont la position n’avait
rien de militaire, et, sur lequel se trouvaient réunies
cinq cabanes aussi misérables que les autres, on
m y montra la demeure du chef ; j’y trouvai réunis
une douzaine de Zélandais des deux sexes, que Ton
me dit être des esclaves ; les femmes étaient occupées
à préparer les pommes de terre, le poisson et les coquillages
destinés à leur nourriture; d’autres faisaient
avec du phormium quelques nattes et des paniers.
Toutes recevaient les ordres de la femme du chef, qui
était assise en plein air et qui commandait les travaux
avec la dureté d’une matrone ; elle élait vêtue
d’un peignoir d’indienne assez sale ; elle portait en
outre une belle natte: elle ne différait des autres
femmes que par le tatouage complet dont sa figure
était couverte ; cette marque de distinction donnait à
sa physionomie un air de dignité très-prononcé. En
me présentant à elle, son fils lui prodigua les marques
d’une grande déférence. Les hommes rôdaient autour
de la case et passaient leur vie dans un état d’oisiveté
complète, qui contrastait avec les travaux pénibles
dévolus aux femmes.
« L’intérieur des maisons me parut très-misérable ;
on y voyait entassés pêle-mêle des nattes, des coffres,
des courges et des corbeilles remplies de pommes de
terre ; des claies en roseaux, élevées à environ un pied
au-dessus du so l, servaient de lits; enfin, au milieu
de l’habitation, ilexistaitun trou servant de foyer:
la fumée avait déposé sur tous les points un vernis
noirâtre qui faisait mal à voir ; la malpropreté qui régnait
partout inspirait le plus profond dégoût.
« En parcourant ce petit village, je m’étonnai de
rencontrer plusieurs cabanes entièrement désertes;
mais on m’apprit que ces habitations avaient été