
cette matière importante, dont le commerce 8c
les arts retirent de lï grands avantages.
«Toutes les années, vers le milieu de l’é té , des
payfans italiens, voifîns des Alpes , font une tournée
dans les cantons de la Suiffe où les^ fapins
abondent, pour y ramaffer la térébenthine. Ils
ont des cornets de fer-blanc qui fe terminent en
pointe aiguë, 8c une bouteille de la même matière
pendue à leur ceinture. Ceux qui tirent de
la térébenthine des fapins qui croiffent fur les
montagnes des environs de la grande Chartreufe ,
fe fervent de cornes de boeufs, qui fe terminent
en pointe, ainfi que les cornets de fer-blanc.
« C ’eft une chofe curieufe de voir ces payfans
monter jufqu’ à la cime des plus hauts fapins , au
moyen de leurs fouliers armés de crampons qui
entrent dans l’écorce des arbres , dont ils embraf-
fent le tronc avec les deux jambes & un de leurs
bras , tandis que de l’autre ils fe fervent de leur
cornet pour Crever de petites tumeurs ou des veffies
que l’on apperçoit fur l’écorce des fapins.
Lorfque leur cornet eft rempli de cette térébenthine
claire & coulante qui forme les veffies , ils
la verfent dans la bouteille qu’ ils portent à leur
ceinture, & ces bouteilles fe vuident enfuite dans
des outres ou peaux de bouc, qui fervent à tranf-
porter la térébenthine dans les lieux où'ils favent
en avoir le débit le plus avantageux.
»> Comme il arrive affez fouvent qu’il tombe dans
les cornets, des feuilles de fapin, des fragmens
d’écorce 8c des lichens qui faliffent la térébenthine
, ils la purifient par une filtration avant de
la mettre dans les outres. Pour cet effet, ils lèvent
un morceau d’écorce à un épicia j ils en font une
efpèce d’entonnoir, dont ils garuiffent le bout le ;
plus étroit avec des pouffes du même arbre; en-
fuite ils rempliffent cet entonnoir dè la térébenthine
qu’ils ont ramafféej elle s'écoule peu à peu,
& les, ordures relient engagées dans la garniture.
C ’ eft là la feule préparatiop que f on donne à cette
jréfîne liquide avant de l'expo fer en vente.
• »On apperçoit rarement de ces fortes de veffies
■ fur l’écorce des épicias, & ce n’ eft que lorfqu’ils
font très-vigoureux & plantés dans un terrain gras.
La réfine de ces derniers arbres découle des entailles
que l’on fait à leur écorce, tandis qu’au
contraire il ne coule point de térébenthine par
les incifions que l’on fait à l’écorce des fapins
proprement dits. Toute la térébenthine fe tire
des veffies ou tumeurs qui fe forment naturellement
dans l'écorce. Si quelquefois on fa it, par
hafard ou par expérience , des incifions à l’écorce
des fapins, il en fort fi peu de térébenthine, qu’elle
ne mérite aucune attention. Il eft vrai que ces
gouttes de réfine qui fortent liquides des pores
de l’arbre s’épaiffiffent à l'air prefque comme celles
des épicias ; mais il y a cette différence, que
le fuc des épicias devient, en s’ épaiffiffant, opaque
comme l’encens, au lieu que celui des fapins eft
clair 8c tranfparent comme le maftic.
*> Il eft bon de remarquer que les veffies ou tu-
meurs qui paroiffent fous l’écorce des fapins, font
quelquefois rondes & quelquefois ovales}.mais,
dans ce dernier cas, le grand diamètre des tu*
meurs eft toujours horizontal, & jamais perpendiculaire.
^ Dans les endroits où le fonds eft gras & la terre |
fubftantielle, on fait deux récoltes de térében-v
thine dans la faifon des deux fèves > fayoir : celle
du printems & celle du milieu de l’été > niais
chaque arbre ne produit qu’ une fois des veffies
pendant le cours d’ une fève > ils n’ en produifent
même qu’ à la fève du printems dans les terrains
maigres.
93 II n’ en eft pas ainfi des épicias. Ces arbres four-
niffent une récolte tous les quinze jours, pourvu I
qu’on ait foin de rafraîchir les entailles qu’on a
déjà faites à leur écorce.
» Les fapins commencent à fournir une médiocre
quantité de térébenthine dès qu’ ils ont trois pou-1
ces de diamètre, & ils en fourniffent de plus en I
plus jufqu’à ce qu’ils foient parvenus à un pied. I
Alors les piqûres qu’ôn a faites à leur écorce I
forment des écailles dures & racornies : le corps
digneux, qui continue à s’étendre en grofleur, I
oblige l'écorce, qui eft dure & capable d’exten-1
fion, de fe crever, & à mefure que l’arbre groffit,
cette écorce qui , quand l’ arbre étoit jeune, n’a*
voit, qu’ un quart .de pouce d-’épaiffeur, acquiert
jufqu’ à un pouce 8c demi , & alors elle ne produit
plus de veffies.
m Les épicias au contraire fourniffent de la poix
tant qu’ils fubfiftent, en forte qu’on en voit dont
on tire de la poix en abondance _> quoiqu’ils aient
plus de trois pieds de diamètre'.
9» Les fapins ne paroiffent pas s’épuifer parla
térébenthine qu’on en tire , ni par les piqûres
qu’ on fait à leur écorce. Les écailles qu’elles oc-
cafionnent, & les gerfures de l’écorce des gros
fapins, ne leur font pas plus contraires que celles
qui arrivent naturellement aux écorces des gros
ormes, des gros tilleuls ou des bouleaux.
39II découle naturellement de l’écorce des epi-
çias, des larmes de réfine, q u i, en s’épaifliflantv
font une efpèce d’encens ; mais pour avoir la poix
en plus grande abondance, on emporte, dans le
te ms de la fève qui arrive au mois d’av. ii, une
lanière d’écorce, en obfervant de ne point entamer
le bois.
93 Si l’on apperçoit, fur des épicias qui font entaillés
depuis long-tems, que les plaies font; profondes
, c’eft parce que le bois continue à croître
tout autour de l’endroit qui a été entamé;«
comme il ne fe fait point de productions lignent
dans l’étendue de la plaie,-peu à peu ces plates
parviennent à avoir plus de dix pouces de profondeur.
Les plaies augmentent auffi en hauteur &
en largeur, parce qu’on eft obligé de les rafraîchir
toutes les fois qu’on ramaffe la poix, afin de détruire
une nouvelle écorce qui fe formeroit tout
autour de la plaie, & qui empêcheroic la réfine
de couler, ou plutôt pour emporter une portion
de l'écorce qui devient calleufe à cet endroit lorf-
qu’elle a rendu fr réfine. Bien loin que ces entailles
& cette déperdition de réfine faffent tort
aux épicias, on prétend que ceux qui font plantés
dans des terrains gras, périroient fi l’on ne tiroit
pas, par des entailles, une partie de leur réfine.
»j Tous les ans les épicias ordinaires, dont les
cônes font très-longs, & dont les feuilles font d’un
vert plus clair que celles des fapins, fourniffent
de la poix pendant les deux fèves ; mais les récoltes
font plus abondantes quand les arbres font
en pleine fè v e , & l’on en ramaffe plus ou moins
fouvent, fuivant que le terrain eft plus ou moins
fubftantiel, en forte que, dans les terrains gras,
on en fait la récolte tous les quinze jours , en
détachant la poix avec un inftrument qui eft taillé
d’un côté comme le fer d’une hache, & de l’autre j
comme une gouge. Ce fer fert encore à rafraîchir
la plaie toutes les fois qu’on ramaffe la,poix.
33 II eft bon de faire remarquer que' cette fub.f-
tance réfineufe ne fort point du bois :iben fuinte un
peu, à la vérité, de l’épaiffeur de l'écorce j mais
la plus grande quantité tranffude d’entre le bois &
l'écorce. Elle fe fige auffitôt qu’elle eft fortie des
pores de l’arbre j elle ne coule point à terre, mais
elle relie attachée à la plaie en greffes larmes ou
flocons, & c’eft ce qui établit une fi grande différence
entre la poix que fourniffent les épicias, 8e
la térébenthine que donnent les fapins.
” Les épicias ne fe plaifent pas dans les pays
chauds j mais s’il s ’y en trouvoit, ilpourroit arriver
que la poix qu’ils fourniroient, feroit coulante .
prefque comme la réfine des pins. On fait que la
chaleur amollit les réfines au lieu de les dèffécher,
& ceux qui ramaffent la poix des épiciasremar-
quent bien qu’elle ne tient point à leurs mains !
lorfque l’air eft frais , & qu’elle s’y attache au i
contraire quand il fait chaud : alors ils font obligés •
de fe les frotter avec du beurre ou de la graiffe, ij
afin d’empêcher cette poix, qui eft gluante, de j
coller leurs doigts les uns contre les autres. ‘
M La poix des jeunes épicias eft plus molle que
celle des vieux ; mais elle- n'eft jamais coulante.
Dans les forêts d’épicias qui font fur des rochers,
ou apperçoit beaucoup de racines qui s’étendent
fouvent hors de terre : fi. on les entaille y. elles ?
lourniffent de .la poix en abondance ; mais- cette j
Poix eft épaiffe comme celle qui. coule des entailles :
faites aux troncs. Epfin, la poix dés épicias çft-ltiffi- ;
arment fèche pour être mife dans clés façs. C ’eft
dans cet état que les payfans la tranfportent dans
leurs maifons, pour lui donner la préparation dont
nous allons parler.
33 On met la poix avec de l’eau dans de grandes
chaudières. Un fèii modéré la fond ; enfuice on la
verfe dans des facs de toile forte & ‘claire qu’on
porte fous des preffes, qui, .appuyant .deffus peu à
peu, font couler la poix pure 8c exempte de toute
immondice; Alors on la verfe dans des barrils, &
en cet état on la vend fous le nom de poix graffe
ou poix de Bourgogne : on met rarement cette poix
en pains, furtout quand on veut la tranfporter au
loin , parce que la moindre chaleur l’attendrit &
la fait aplatir. On la renferme encore dans des
cabas d'écorce de tilleul.
39 Ce que nous venons de dire regarde la poix
blanche, ou plutôt la poix jaune. On en vend
auffi de noire, qui eft préparée avec cette poix
jaune dont on vient de parler, & dans laquelle
on met du noir de fumée. Pour bien incorporer
ces deux fubftances , on fait fondre à petit feu 8c
doucement, de la poix jaune-, dans laquelle on
mêle une certaine portion de> noir: dé fumée. Ce
mélange s’appelle la poix noire, mais elle eft peu
eftimée.
33 Dans les années chaudes & fèches la poix eft
de meilleure qualité, & la récolte en eft plus
abondante que dans celles qui font fraîches 8c
humides.
| Si l’on met cette poix graffe dans des alambics
avec de l’eau, il pane avec l’eau, par la diftiIlaT
tion, une huile effentielie, & la poix qui refte
dans la cucurbite eft moins graffe qu’elle ne Té-
toit auparavant 5 elle reffemble alors à la colophane,
dont il a été queftion à l’article P i n ; mais
l’huile effentielie qui a monté avec l’eau, n’eft
pas de l’efprit de térébenthine 5 c’ eft de l’efprit
de poix, qui eft d’une qualité bien différente &
fort inférieure. Comme ôn a coutume de la vendre
pour de l’efprit de térébenthine , on doit
prendre bien des précautions pour n’être poinc
trompé , furtout lorfqu’ il ell important d’avoir de
véritable huile effentielie de térébenthine , foit
pour les médicamens, foit pour diffoudre certaines
réfines concrètes.
33 On fait la véritable effençe de térébenthine en
diftillant avec beaucoup d’eau , celle qu’on retire
des veffies du fapin. La térébenthine qui a été raf
maffée dans l’été fournit un quart d’effence,.c’eft“
à-dire, que de quatre livres de belle térébenthine,
on en tire une livre d’effence.
>3 Dans les forêts épaiffes où le foleil ne peut
pénétrer , on fait tontes les entailles du côté du
midi j mais dans celles où le foleil pénètre, ce qui
eft rare, on les fait indifféremment de tous les
côtés, pourvu néanmoins que ce ne foit pas du
côté du vent de la pluie. On fait quelquefois trois