1er de la Caffrerie et de ses, armes redoutables
, que je ne voulus pas différer plus longtemps
de vo ir par moi-même ce dont étoit
capable un Caffre de dix-huit ans, qui se
vantoit lui-même si naïvement. L ’heure du
dîner approchoit, je me proposois de régaler
tout ce monde; j’envoyai chercher un mouton
, e t , le montrant du doigt au jeune
homme, je lui permis de le tirer ; il portoit
cinq sagayes dans la main gauche : sur mon
invitation, il en saisit une de sa droite , fait
lâcher le mouton, qui se met à galopper
pour rejoindre le troupeau ; en même temps
il brandit sa sagaye avec force, et s’élançant
en avant par quatre ou cinq sauts rapides, il
la décoche ; la sagaye siffle, fend l ’air, et va
se perdre dans les flancs de l ’animal, qui
chancèle, et tombe m ort sur la place.
Je ne pus lui cacher ma surprise et ma
joie : tant d’adresse unie à la force, à la grâce,
enchanta tout mon monde. L ’amour-propre
est un sentiment universel, mais il se modifie
suivant les moeurs et les climats; em
Europe, il brille dans les yeux, dans tous
les traits d’une belle femme, et leur donne
de la fierté ; il est l ’ame des talens, et fait
naître des chef-d’oeuvres ; il se cache même
/
sous la bure et les haillons. En Afrique, un
sauvagè ne sait point le déguiser; les témoignages
d’admiration qu’excitoit parmi nous
momjeune chasseur, agrandissoient son regard
et développoient les muscles de son
visage ; fier d’un pareil triomphe et de mes
applaudissemens, ses pieds ne touchoient
plus à terre ; il mesurait ma taille, se ran-
geoit à mes côtés , il sembloit me dire : to i,
moi.
Les gens de sa nation n’étoient pas moins
charmés qu’il eût si bien réussi ; ils me
fixoient, et cherchoient à pénétrer dans ma
pensée pour y voir tout l’effet qu’avoit produit
Cet échantillon de leur adresse.
J’ai eu, dans la suite, plus d’une occasion
de remarquer qu’il ne faudrait à la tête de
ces gens qu’un chef habile et de l’ordre pour
culbuter et détruire dans un moment la
nation Hottentote et toutes les colonies ;
mais la supériorité de nos armes rendra nuls
leur courage, leur adresse, tant qu’ils n’auront
que des sagayes pour défense.
Après avoir retiré sa lance du corps de
l’animal, le jeune Caffre en ficha plusieurs
fois le fer dans le sable, et l ’essuya soigneusement
avec une poignée d’herbe.