
s’avisoient quelque jour de rê v e r qu’ils
vivent m alheureux, privés de nos arts, de
nos richesses, et de toutes les ressources de
notre génie, et qu’unis ensemble, armés
d’un triple fe r , ils1 accourussent pour inonder
l’Europe et nous en chasser, de quel
front recevrions-nous ces barbares , et de
quels traitemens nous verroit-on payer leur
audace? Telle est cependant leur histoire ou
la nôtre; telles sont nos tentatives entrer
prises dans les trois mondes avec des succès
.trop heureux ; par-tout où il nous a plu de
nous établir, nous avons réduit ces malheureux
persécutés à l’esclavage, à la fuite ;
nous nous sommes approprié, sans scrupule
, tout ce que nous avons trouvé à notre
bienséance ; et quand l’heure de la vengeance
a sonné pour eux, et qu’ils ont mesuré leurs
coups à la grandeur de nos torts, sans retour
sur nous-mêmes , trop aveuglés par l ’intérêt
ou le fanatisme, nous avons osé les nommer
des barbares, des anthropophages, des bêtes
féroces nourries de meurtres, altérées de
Sang.
A quelle imprudence ne faut-il pas attribuer
la mort du célèbre navigateur Cook ?
J’aime à croire que le sentiment de sa force
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et son caractère entreprenant, altier, ne le
portèrent jamais aux excès coupables dont
il périt à son tour la victime ; mais le désir
ardent de se venger de l ’équipage indiscipliné
qui marchoit à sa suite, arma contre
lui les insulaires. Ses matelots épioient les
femmes, osoient s’en emparer en tous lieu x ,
en toute occasion ; c’en étoit trop pour garder
plus long-temps le silence. Rien n’est
capable d’arrêter Ces Sauvages outragés : à
travers la fumée des canons, au milieu du
bruit de son artillerie menaçante, le chef est
reconnu ; on s’en empare; il est massacré à
la vue même de ses soldats pour n’avoir pas
su réprimer à temps leurs désordres et léurs
cruautés : oui, j ’ose dire leurs cruautés; car
je n’ai pu vo ir sans indignation la barbarie
avec laquelle tout son équipage se plaisoit à
mutiler ces bons peuples, en les fusillant
pour de légers vols de quelques bagatelles
de peu de valeur en elles-mêmes ; sur-tout
quand on voit celui qui ordonnoit de tels
forfaits se permettre lui-même de prendre,
au nom de son ro i, possession d’une île à
laquelle la nature avoit déjà donné des maîtres.
Paroîtroit-il donc moins criminel aux
yeux des peuples policés, de s’emparer d’un