d’une façon qui me fit encore plus d’hom-
neur dans leur esprit. Je me gardai bien en
conséquence de chercher à les détromper ;
ils crurent avec la plus v iv e satisfaction
que j ’avois lâché mon lièvre, non parce que
je ne m’en souciois pas,mais parce qu’ils fu-,
rent persuadés que l’asyle des morts m’avoit
semblé trop respectable, et que c’étoit un
hommage naturel que je venois de rendre
au tombeau d’un des leurs : nous recouvrîmes
le squelette des mêmes gravats que
nous avions éparpillés , et reprîmes une,
autre route. Dans cet intervalle, d’autres
chasseurs avoient tué de leur côté quatre
gnous, dont la salaison nous occupa trois
jours entiers.
J’arrivai le 16 sur une habitation occupée
par deux frères nègres et libres, l’un desquels
étoit marié à une jeune mulâtre; je fus,
accueilli par ces aimables naturels avec les
transports de la joie : ils m’offrirent tout ce
qu’ils possédoient.... Le dirai-je ! mon coeur,,
oppressé de mille sentimens divers reçut
froidement et leurs caresses et leurs tendres
sollicitudes; je retrou vois presque les manières
et les usages du monde ; je rentrois
dans la société; je revoyois des champs, des
/
meubles, des possessions, de l’ordre, des
maîtres, en un mot, j ’étois dans une habitation
: tant d’aisance me deVenoit à charge •
un penchant involontaire m’arrachoit de ce
domaine; j ’en fis plusieurs fois le tour, les
yeux errans de côté et d’autre, comme pour
retrouver mon chemin perdu; j ’accablois la
maison de mes plaintes, et l ’environnois, si
je puis parler ainsi, de mes soupirs; tout
fuyoit, et les torrens et les montagnes, et
les forêts majestueuses et les chemins impraticables,
et les hordes de sauvages et
leurs huttes charmantes, tout me fuyoit-
tout me sembloit regrettable,. jusqu’aux
betes féroces elles-mêmes, à qui je prêtois
en ce moment des sentimens d’habitude et
de bienveillance pour moi. Je ne sais si ces
bizarreries sont communes à d’autres hommes
; mais plus j ’y songe, plus je sens qu’elles
appartiennent à la nature. Charme puissant
de la liberté, force invincible qui ne périras
quavec moi, tu transformois en plaisirs les
plus cruelles fatigues, en amusemens les plus
grands dangers, en spectacles délicieux les
objets les plus noirs, et tu semois tous mes
pas des fleurs du repos et de la félicité, en
des temps et dans un âge où la destinée