nous eût pas plutôt entrevus, que, ramassant
avec précipitation son arc et son carquois,
il prit sa course pour fuir ; mais, rendant
la main à mon cheval, je l’eus bientôt
rejoint. A u x signes peu équivoques de ses
frayeurs et de son embarras, je jugeai que
c etoit un Bossisman : sa vie étoit entre mes
mains ; je pouvois user, dans ces déserts, de
mon droit de souveraineté, et punir en lui,
si j ’eusse été cruel, tous les crimes de ses
égaux, et le tort inexcüsable d’appartenir à
des brigands. ' «Tusques-la je n’avois point
particulièrement à me plaindre d’eux, et je
comptais, au contraire, profiter de la rencontre
pour recevoir de nouveaux rensei-
gnemens : ce n’eSt pas ainsi qu’en eût agi un
colon. I l v it bien, à mon a ir, que mon intention
n’étùit pas de lui faire aucun mal :
après quelques questions relatives à la situation
où nous nous trouvions respectivement
, et auxquelles il n e répondoit qu’en
tremblant, il se rassura et prit confiance en
moi. Je me plaignois de la disette de gibier
dans les lieux que je venois de parcourir; il
m’indiqua des cantons où je rencontrerois
sûrement celui que je cherehois; j’ordonnai
au Hottentot qui m’avoit rejoint, de lui faire
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présent d’une portion de son tabac; et, après
lui avoir soubaité plus de modération et dé
probité pour lui et ses compagnons, je tournai
bride pour continuer ma chasse. J’avois
fait à peine cinquante pas ; mon chasseur
étoit resté quelques minutes de plus avec
lui pour l’aider à allumer sa pipe et pour
achever sa conversation, je l’entends, qui
m’appelle à grands cris ; effrayé de ses* ac-
cens, je retourne précipitamment sur lu i ,
j accours, j ’arrive ; je le vois aux prises avec
le traître Bossisman, q u i, la main armée
d’une flèche, faisoit tous ses efforts pour le
blesser a la tête ; le visage de mon pauvre
HottiÉtot étoit déjà couvert de sang. Je saute
de cheval transporte de colère; et, me saisissant
de mon fu s il, d’un coup de crosse
dans la poitrine j ’étourdis et renverse le
traître : mon Hottentot, dans l ’excès de sa
rage, ramasse son arme, achève so.n terrible
adversaire j et l ’écrase à mes pieds. Effrayé
de sa blessure, il s’attendoit à périr par
l ’effet du poison, le coquin lui avoit décoché
une flèche dans le moment où ils se
quittoient; il avoit reçu la blessure précisément
au nez ; elle me paroissoit plus dangereuse,
mais n’étoit heureusement que su