vers mon camp. Lorsque je fus à une certaine
distance de l ’arbre, je vis toute la
troupe , qui avoit calculé mon éloigne-
ment, descendre avec précipitation et gagner
1 épaisseur du bois, en poussant de grands
cris : je jugeai, a quelques traîneurs qui sui-
voient péniblement, boitant du devant ou
dn derrière, que mes plombs en avoient
blessé plusieurs 5 mais, dans cette fuite précipitée
, je ne remarquai point, comme l’ont
dit quelques voyageurs, que les mieux p or-
tans aidassent les estropiés en les chargeant
sur leurs épaules pour ne point retarder la
marche commune, et je crois qu’à leur
égard, ainsi qu’à celui des IJottentôts pour-
suivis en guerre, la nature est la même, et
qu’on a déjà trop de veiller à son propre
salut pour s’occuper de celui des autres,
De r etour à ma tente, j ’examinai ma chasse ;
cette espèce de singe est d’une grandeur
moyenne; son poil, assez long, est généralement
d’une teinte verdâtre ; il a le ventre
blanc, comme je l’ai déjà dit, et la face entièrement
noire : ses fesses sont calleuses ;
cette partie nue est, ainsi que celles de la
génération du maie, d’un très-beau bleu.
J)ans le moment ou j’examino js ces animaux,
E N A f r i q u e . 3i 5
Keès entre dans ma tente ; je crois qu’il va
jeter les hauts cris en apperceyant ses camarades,
quoique d?une espèce différente
de la sienne; il me parut qu’il ne craignoit
pas autant les morts que les vivans : il montre
de l’étonnement ; il les considère l’un
après l’autre, les tourne et retourne en tous
sens pour les examiner, comme il me l ’avoit
vu faire: il n’étoit pas, je crois, le premier
singe -qui voulût trancher du naturaliste;
mais un secret motif, beaucoup moins généreux,
le pressoit fortement; il avoit découvert
des trésors en tâtant les joues des quatre
défunts; je le vis bientôt se hasarder à
leur ouvrir la bouche l ’un après l’autre , et
tirer de leurs salles (1) des amandes toutes
épluchées de l’arbre Geel-Houtt, et les entasser
dans les siennes.
Le campement que j ’occupois devenoit
intéressant et riche pour moi ; il étoit, de
plus, agréable à mes gens, et très-abondant
(1) Les naturalistes nomment sqlles ces espèces de
pochesqu ont les singes entre les joues et les mâchoires,
inférieures ; c’est une sorte de magasin dans lequel ils '
conservent, pour l’occasion, les fruits qu’ils trouvent,
ni le temps ni le besoin de les manger.