beaucoup d’espérance ; car ce doux aliment
des coeurs rayonnoit sur tous les fronts, et
doubloit leur tendre compassion ! Avec quel
empressement je les voyois tous accourir,
m’environner, s’attendrir sur ies souffrances
de leur frè re , et toutes les femmes surtout
implorer les connoissances qu’elles me
supposoient, afin de donner, s’il étoit possible,
quelque relâche à son supplice, et de
le rendre à la vie.
I l n’étoit plus qu’un squelette mal recouvert
par une peau rétréeie et sèche, qui lais-
soit voir à nu des parties d’os aux jambes,
aux bras, aux côtés et aux reins ; toutes les
jointures étoient démesurément enflées, et
les vers anticipant sur sa destruction le ron-
geoient de toutes parts.
Après la friction que j’avois ordonnée on
l ’introduisit dans sa hutte ; je le recommandai
aux attentions et aux soins de toute la
horde, et je priai qu’on ne lui donnât que
du lait pour toute nourriture.
Je doute fort que ces secours ayent été
suffisans pour le réchapper ; malheureusement
je n’étois pas plus instruit : et, dans
l ’intime persuasion que sa mort étoit inévitable
, j’avois pensé que la hâter aurait été le
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plus grand service qu’on eût pu lui rendre.
Si j’ai prolongé de quelques jours sa douloureuse
existence, le plus cruel de ses ennemis
n’en eût pas fait davantage.
De retour à la demeure de Haabas, sa
I femme me présenta du lait pour me rafraî-
i chir ; on avoit fait tuer un mouton pour moi
I et mes gens.
Je fis rôtir quelques côtelettes sur des
I charbons devant la hutte; mais les miasmes
I qui m’avoient su iv i, et le spectacle hideux
I de ce cadavre encore animé ne désempa-
I roient pas mon imagination, et m’avoient
f ôté l’appétit. Cependant, dans la crainte que
ces sauvages ne pensassent que leurs mets
m’inspiroient du dégoût | ce qui les auroit
I cruellement mortifiés, je pris sur moi de
1 manger un peu. De l’endroit où j’étois assis,
!, à traverser le cercle qui m’environnoit, je
voyois mes gens, moins délicats que leur
| maître, se régaler des morceaux qu’on leur
I avoit distribués, et se divertir comme s’il se
» f û t agi d’une noce.
Le dîner fini, il ne me resta que le temps
nécessaire pour me rendre chez moi avant
| la nuit; ainsi, prenant congé de mes bons
| voisins, après une kirielle de Tabé, je re-
I . ,