
j ’arrangeai mes cheveux: après leur avoir*
donné une tournure distinguée , je les surchargeai
de poudre, comme j’aurois fait pour
me rendre dans un cercle d’élégans. Je peignis
ma barbe j et lui fis prendre le meilleur pli
possible. Ce n’étoit ni par fantaisie ni par
un goût bizarre que je l’avois laissé croître
pendant un an , comme on l ’a ridiculement
débité par le monde ; ce n’étoit pas non
plus, comme ces voyageurs herboristes passionnés
pour la follicule et le séné, en punition
de ce que je ne découvrirois pas assez
tôt à mon gré telle plante diaphorétique j
ou tel insecte inappercevable ; ma politique
m’en avoit fait la première loi : la longueur
de ma barbe n’étoit point abandon, négligence
de moi-même 5 la propreté hollandaise
la plus scrupuleuse fait mes délices • ce n ’est
pas pour un créole d’Amérique un simple
besoin d’habitude, c’est une volupté ; dans
mes courses je changeois de linge et de vête-
mens jusqu’à trois fois par jour ; maisle projet
de laisser croître ma barbe avoit été
médité' long-temps avant de partir du Cap:
J’étois instruit des guerres- des Cafïres avec
les colons, et que ces derniers sont en horreur
auxsauvages : je pouvois être rencontré
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des uns ou des autres | il étoit donc essentiel
J autant par mon extérieur que par ma con-
j duite et mes manières , de me donner un
j air absolument étranger qui prouvât qu’il
| n’y avoit rien de commun entre les colons et
* moi. Ce plan m’a ti%s-bien réussi : dans
toutes les hordes que j ’ai parcourues, je me
suis vu toujours accueilli comme un être
■extraordinaire et d’une espèce nouvelle. XJn
Kégoût invincible pour le tabac et l ’eau-de-
■frie, tant prisés des colons et des sauvages,
ajoutoit encore à leur étonnement j l ’idée de
Cette prévention favorable qui ne pouvoit
m’échapper, me donnoit une assurance, une
intrépidité même qui m’ont procuré de
grandes jouissances inconnues à d’autres
voyageurs : rien ne m’arrêtoit ; je marchois
et me présentois sanstrouble; c’est ainsique
J eusse traversé tout le centre de l ’Afriaue
jusqu’en Barbarie , sans la plus légère inquiétude
, si la terre ne s’etoit point, pour
m k s i dire refusée sous mes pas f mais la
soif et la faim cruelle seront à jamais une
barnere insurmontable à qui Voudroit tenter
une entreprise aussi hardie,
f Ma barbe étoit donc masauve-garde essen-
» e lle^m a is elle merendoif un service jour-
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