ses mâchoires ouvertes, tant qu’un reste de vie l’anime
encore, serait infaillihlement hroyée.
Alors on lui ouvre le ventre et il est rare qu’on n’y
trouve pas des preuves matérielles qui justifient sa condamnation
aux yeux des matelots. Ce sont pour l’ordinaire
de vieux habits jetés volontairement à la mer ou
perdus sur le passage de quelque navire, car le requin
engloutit tout ce qu’il trouve ; mais en voyant dans les
enti ailles du monstre aquatique une vareuse, un pantalon
ou un bonnet de marin, il n’est défendu à personne
de supposer que ce sont les dépouilles d’un malheureux
(ju’il a dévoré.
La chair du requin, découpée par lanières et séchée
au soleil, est un mets détestable, que le meilleur cuisinier
aurait de la peine à rendre digne du palais le moins
délicat. Cependant, les matelots la font cuire et la mangent.
Peut-être le sentiment de la vengeance satisfaite
lui donne-t-elle un meilleur goût que tout autre assaisonnement.
Quoi qu’il en soit, la capture d’un requin est toujours
à bord d’un navire une agréable distraction avidement
saisie.
Mais les marins de la Bonite étaient habitués aux
rencontres de ce genre ; ils en avaient vu beaucoup en
approchant de Ghayaquil; ils avaient aperçu aussi de
nombreuses haleines; quelques-unes même d’assez
près , pour être incommodés de l’odeur fétide que répand
l’eau lancée en l’air parleurs évents. Niles monstres
marins, ni les oiseaux divers qui jusque-là avaient escorté
la corvette, n’étaient pour eux en ce moment un
sujet de distraction. On laissa donc le requin poursuivre
en liberté ses évolutions et nul ne songea à lui faire du
mal, si ce n’est quelque esprit superstitieux et chagrin,
comme il s’en trouve parfois dans les équipages, qui, le
voyant ainsi narguer la Bonite, le prit peut-être pour un
sorcier déguisé cjui par ses tours magiques la retenait en
calme.
Second appareillage bientôt suivi d’un nouvel arrêt.
A cinq heures du soir, au moment du revirement de
la marée, le calme cessa et fit place à une jolie brise
d’O. On s’empressa d’en profiter pour se remettre en
route. Le vent fraîchit bientôt à l’approche de la nuit;
mais , avec lui, vinrent les nuages, le ciel s’obscurcit et
d’épaisses ténèbres empêchant de rien distinguer, il fallut
s’arrêter encore, M. Vaillant remarque à ce propos
que c’est ce qu’on peut faire de mieux, en pareil cas ,
lorsqu’on navigue dans le Guayaquil. il faut y voir clair,
si l’on veut éviter les bancs ; car la sonde ne suffit pas
toujours pour avertir de leur voisinage. Quelques-uns
en effet sont assez acores ; et si la couleur de l’eau ne
donnait un moyen de reconnaître leur approche, on
pourrait s’y échouer, au moment même où la sonde
vient d’accuser vingt ou vingt-cinq brasses de fond.