134 VOYAGE
rivière de Giiayaqail. Les vents soufflant du large ne
permettent alors d’avancer qu’en louvoyant et il faut le
faire avec précaution pour éviter de s’échouer sur les
bancs de sable qui s’étendent sur l’une et l’autre rive
jusqu’à une assez grande distance de la côte. Si la brise
est faible, on ne peut gagner un peu de chemin, qu’à la
faveur du courant pendant la marée descendante. Il faut
renoncer à lutter contre le courant de flot dès qu’il
commence à se faire sentir.
L a Bonite forcée de mouiller sur la rive gauche du fleuve.
Aussi, la Bonite, après moins de six heures de marche
, pendant lesquelles elle s’était portée vers la rive
gauche du fleuve pour éviter le banc de Mala, fut-elle
obligée de laisser tomber son ancre à onze heures et
demie. La marée commençait à monter et la brise, jusqu’alors
assez faible, venait de s’éteindre tout à fait. Ce
fut pour nos voyageurs un véritable désappointement;
le ciel était clair, le soleil brûlant, l’atmosphère lourde
et accablante; on respirait à peine; et chacun se demandait
avec anxiété combien de fois il faudrait subir la
même contrariété avant d’atteindre la pleine mer.
Le reqiiiu.
En ce moment un énorme requin vint rôder autour
du bâtiment; sa croupe azurée se montrait à la surface
unie de la mer, rélléchissaiit les rayons du soleil el dessinant
dans les révolutions rapides de l’animal comme
un cercle magique qu’il parcourait sans cesse ; parfois il
se retournait brusquement sur le dos pour saisir au passage
quelque objet tombé du bord et il elalait au soleil
son ventre blanc et sa gueule béante armée de six ou
sept rangées de dents aiguës.
Les matelots ne voient jamais un requin de sang-froid.
C’est leur ennemi le plus odieux. Dès qu’il en paraît un,
c’est à qui le premier s’armera de l’émerillon pour le
prendre, et quand le monstre vorace s’est précipité sur
l’appât, et s’est pris au piège tendu à sa gloutonnerie,
un long cri de joie retentit. Alors, de peur que sou
poids et ses violents efforts ne viennent à rompre la
ligne qui le retient, on jette autour de lui des cordes terminées
par un noeud coulant, qui le lient par le milieu
du corps. Vingt bras vigoureux le hissent sur le pont où
son supplice va commencer. En vain il se débat furieux,
en vain sa redoutable queue, dont un seul coup renverserait
un homme, bat le plancher sonore; il est
tenu, el chacun s’empresse pour lui porter les premiers
coups.
L’un, armé d’une hache, abat cette queue redoutable
dans laquelle, dit-on, gît la principale force de l’animal
et qu’il faut couper d’abord, pour lui ôter son plus puissant
moyen d’évolution. Un autre lui tranche la téle;
mais nul n’y touche , car séparée du tronc elle s’agite
encore convulsivement et la main qu’on présenterait entre