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30G VOYAGE
(( Mallieureusemenl il n’avait pas eu le temps de choisir
sa place. La baleine était mal piquée; le coup de lance
malencontreux fut comme un coup d’éperon dans le
flanc d’un cheval trop ardent; le monstre, furieux, se
retourna, engloutit sur son passage les deux baleinières,
et se dirigeant, avec la vitesse d’un trait, contre le navire,
elle le heurta si violemment que la mâture en fut
ébranlée. Au même instant, une énorme voie d’eau se
déclara; la muraille était enfoncée. Le bâtiment coulait
à vue d’oeil, et ce fut à peine si on eut le temps de mettre
la chaloupe à la mer.
« L’équipage, réduit à cette seule ressource, s’entasse
dans l’embarcation, et le voilà à la garde de Dieu, sans
vivres, loin de terre, ne sachant plus de quel bord amu-
rer. Huit jours se passèrent ainsi : on jeûna le premier,
le second et même le troisième ; mais on ne peut pas
vivre longtemps à ce régime. Les pauvres matelots commencèrent
à se manger les uns les autres. 11 en manquait
trois quand un navire américain, passant par là, recueillit
ceux qui restaient..... »
Une tutelle.
M. Vaillant avait invité le roi Kanikéaouli à venir dîner
à son bord ; le 20 octobre il descendit, la veille,
pour aller avec lui inviter aussi les princesses ; mais il
était moins facile de les déterminer. Les démarches de
ces dames paraissent dépendre en grande partie du bon
plaisir des missionnaires qui exercent sur elles une grande
influence. Aucune d’elles ne voulut prendre d’engagement
positif et leur acceptation fut subordonnée à l’état
de leur santé, prétexte commode, au moyen duquel on
est, jusqu’au dernier moment, libre d’agir comme on
l’entend.
Il y en avait une pourtant pour qui la raison alléguée
n’était pas un prétexte. Nahiénahéna , la soeur favorite
du roi, ne mettait point de politique dans ses réserves.
Cette princesse, sans influence dans l’État, ne se mêlait
d aucune affaire. Il importait assez peu à ceux que préoccupait
le soin de leur crédit de la tenir dans leur dépendance,
et elle devait à cette circonstance un peu plus de
liberté; mais la pauvre jeune femme se mourait*.
Le commandant et les officiers la virent plusieurs fois
pendant leur séjour à Honolulu; jamais sans recevoir
d’elle l’accueil le plus bienveillant. Elle aimait son frère
par-dessus tout; ceux qui se montraient les amis du roi
avaient par cela seul droit à sa propre affection. Or, elle
croyait sincèrement que Kanikéaouli n’avait pas de meilleurs
amis que les Français, qui lui donnaient de bons
conseils, le traitaient avec considération et semblaient
désirer comme elle qu’il pût s’affranchir de la tutelle
qu’on faisait peser sur lui.
Son plus grand chagrin était de voir celui-ci constam-
’ Nahiénahéna a succombé peu de temps après le passage de la
Bonite aux îles Sandwich.