534 HISTOIRE NATURELLE
il ne fait pas attention qu’on n’y est point
obligé, ou qu’il doit en témoigner au moins
quelque reconnoissance , ou que c’est læ
main d’une jolie femme, etc. T o u t , tout
ce qui n’est pas essentiel à lui-même et à
sa vie lui est de la plus profonde indifte-
rence ; son coeur est entouré de l ’insouciance
comme de cent barrières d’airain qui l’isolent
parfaitement.
Tous ses mouvemens, toutes ses affections
n’ont absolument point d’autre 'but que do
manger, boire, se conserver et dormir. (Sa
captivité y ajoute le désir de son indépendance
). Il ne cherche qu’à se nourrir", il
ne desire que de manger ; pendant toute
la journée, il n’a que cette principale fonction
en vue ; elle remplit entièrement son
être ; elle est son unique désir, son suprême
contentement5 elle le subjugue entièrement.
Tout ce qui n’a point de rapport à cette
fonction n’est rien à ses yeux. Lui parlez-
vous ? il ne fait aucune attention , et il ne
pourroit même répondre puisqu’il ignore
le langage des paroles. Vous occupez-vous
de lui ? il ne s’embarrasse de personne au
monde, pas même de celui qui le nourrit.
Lui témoigne-t-on de l’amitié ? • il est parfaitement
indifférent. Lui donne-t-on quel*
DU GENRE HUMAIN* 355
que chose à manger? il prend avidement
sans marquer la plus légère reconnoissance.
I l ne pense, ou pour mieux dire , il ne sent
que lui seul ; il est l’unité indivisible,
l’égoïsme pur ; il ne s’attache à personne, à
nul être au monde ; il connoît son gardien
parce qu’il lui donne à manger, parce qu’il
a soin de lui, mais il n’a aucune amitié pour
lu i , de l’aveu même de cet homme. Il a
quitté sans regret, sans marque d’attachement
la femme qui l’avoit nourri pendant
six mois y cependant il préfère l’homme
qu’il connoît à celui qui lui est plus
étranger.
Qu’on entoure, qu’on regarde, qu’on
s’occupe de notre sauvage : il mange, il
fait ses besoins, il se met a sa volonté sans
vous regarder, sans fixer les yeux sur personne
, sans acception d’âge , sans attrait
pour le sexe, sans considération humaine,
sans égard pour les rangs et nos préjugés.
Un roi devant lui ne seroit pas différent à
ses yeux du dernier des mortels; comme un
nouveau Diogène, il diroit à un moderne
Alexandre de s’ôter de devant son soleil, s’il
pouvoit ou même s’il daignoit lui parler. I l
ne peut encore comprendre ce que c’est que
la subordination, la puissance et la foiblesse;