navire de guerre fasse justice de ces forbans ; ce qui,
du reste, arrive rarement.
Des traités particuliers de commerce garantissent
aux navires espagnols et portugais une protection
spéciale au mouillage de Bewan, mais ils ne les
mettent pas à l’abri des attaques de ces brigands
hors de la baie; aussi tous les bâtiments européens
qui viennent sur cette rade sont parfaitement armés.
Sur ceux que nous trouvâmes au mouillage, on n’apercevait
de tous côtés que lances, kriss malaisL sabres
et mousquets étalés sur des râteliers qui restent
constamment sur le pont, afin de pouvoir repousser
un abordage au cas d’une attaque imprévue; en
outre, huit à dix canons de dix ou de douze garnissent
les sabords. Le capitaine Somès, de qui viennent
principalement ces renseignements, avait un équipage
de vingt-quatre matelots, tous natifs de Manille
ou Bisayas. Ces navires font, même sur la rade, une
garde très-attentive, et ils s’entourent de toutes sortes
de précautions, pour être toujours prêts à combattre,
Chaque soir, on exerce les matelots au maniement
des armes ; des maîtres d’escrime apprennent aux novices
l’art de manier le kriss. M. Desgraz, qui a assisté
à un de ces exercices à bord du navire espagnol
la Minerve, s’exprime ainsi : « Armés alternativement
du bouclier, de la-lance ou du kriss, ils
s’attaquent en avançant, puis ils reculent et déploient
dans ces exercices une adresse remarquable, Ce spectacle
nous fut donné par le capitaine Somès lui-
même, et au son peu harmonieux du tambour ,
après quoi la cloche tinte Y Angélus, 1 équipage fait
sa prière en commun, et vient eu masse souhaiter une
bonne nuit à ses officiers. Touchante coutume qui
semble indiquer entre les subordonnés et les chefs
des relations de bienveillance et d’attachement que
l’on ne trouve plus que bien rarement ; peut-être
ces hommes ne font-ils qu’obéir en cela aux ordres
de leurs chefs, et les sentiments qu’exprime une pareille
coutume ne sont-ils points réels. »
Les navires espagnols et portugais exploitent exclusivement
le peu de commerce qui se fait aux îles
Solo ; grâce à la proximité de Manille et de Samboan-
gan, où sè trouvent toujours de légères barques de
guerre prêtes à réprimer tout acte de piraterie, ils y
sont un peu moins maltraités que les bâtiments des
autres nations. Les produits de ces îles sont peu nombreux.
«Te ne crois pas que jamais aucun navire autre
que ceux que l’on expédie de Manille puisse compter
sur une spéculation heureuse, en envoyant un chargement
dans ces parages : il faudrait d’abord, poursa
sûreté, qu’il fût monté par un équipage nombreux et
bien armé, et un armement de ce genre coûterait
énormément ; en outre, la concurrence serait difficile
à soutenir avec les navires espagnols de Manille, qui
ont sur les nôtres un avantage immense , celui de
pouvoir être armés avec des matelots bisayas ou
indios de naissance; ceux-ci coûtent en effet fort peu
de chose : ils se nourrissent presque entièrement
avec du riz et du poisson, leurs gages s’élèvent tout
au plus à 20 fr. par mois, y compris la nourriture.