étroite et régulière qui nous conduisit à un bazar où
étaient étalés tous les fruits de l’île et une énorme
quantité de bétel, d’areck, et de tabac.
» Le quartier chinois est séparé du reste de la Ville
par un canal. Je me désolais à l’idée de faire de nouveau
de la gymnastique, attendu que pour arriver
à la terre ferme il fallait encore traverser un de ces
ponts de saltimbanque, et celui que j’avais devant
moi me paraissait encore moins confortable que celui
que je venais de traverser. Cependant j’allais bravement
m’exécuter, lorsque j’entendis un bruit assourdissant
de gongs et de tams-tams, et j’aperçus la plus
drôle de caricature que j’aie jamais vue.
» C’était une femme complètement nue, à califourchon
sur un buffle , jambe deçà, jambe delà, comme
un soldat romain ; elle allait au pas et tenait à la main
une longue lance. La dame avait dépassé l’âge mûr et
partant était peu ragoûtante. Je ne pus m’empêcher
de rire au nez de cette amazone de nouvelle espèce,
ce dont elle parut fort irritée. Ce spectacle n’était
probablement curieux que pour moi, car mes .guides
n’y firent pas la moindre attention, et la gravité et la
contenance de la respectable matrone indiquaient
que pareille chose devait se voir souvent dans ce singulier
pays. '
»Le cortège passé, j’enfilai bravement le pont de
bambou, qui, pour rendre justice à qui de droit,
était mieux établi et plus solide que lé premier,
et j’arrivai enfin, à ma grande joie, sur la terre
ferme, devant une belle savane, sur une des façades
de laquelle s’élevaient quelques grandes maisons
isolées,
» Nous étions arrivés au terme de notre course, et
nous nous dirigeâmes vers une grande maison en
bambou comme celles delà Malaisie, mais construite
avec un luxe d’ornements que je ne m’attendais pas
à rencontrer. Les poutrelles , les solives étaient garnies
de sculptures grossières, il est vrai, mais qui
attestaient cependant une sorte de talent. C’était la
demeure du Datou-Molou, espèce de visir au petit
pied. Mon interprète m’engagea à lui faire .ma visite
avant de me rendre chez le sultan. Le datou» ministre
ou visir, était un haut et puissant personnage, et
jouissait même, me dit-il, de beaucoup plus d’influence
que Sa Hautesse, son seigneur et maître. Je
me dirigeai donc vers la demeure de ce puissant
chef. On me fit faire antichambre un instant, puis
je fus introduit dans une vaste pièce remplie d’hommes
armés de pied en cap ; un sabre à lame large et
brillante, pendait à leur ceinture ; tous affectaient
une mine formidable. Ils s’ouvrirent pour me faire
place, et je me trouvai bientôt devant un petit vieillard,
presque blanc de peau : sa figure sèche et ridée
paraissait vieillie plutôt par les excès que par l’âge ;
il me reçut de l’air le plus gracieux, et nous entrâmes
en matière par une chaleureuse poignée, de
main,
» La maison se composait d’une vaste salle, faiblement
éclairée par une fenêtre dans le fond. Dans
cette salle en était construite une autre entièrement
1839.
Juillet.