deux ou trois débitants de liqueurs, et deux marchands d’étoffes
occupant le premier étage de leurs maisons. 'Voilà,à peu près
toutes les ressources commerciales du pays.
Au bout de la première rue, près du rivage, se trouve l’église.
C’est un édifice en pierre, qui n’a rien de particulier ; la maison
du padre y est jointe, et à quelques pas de là un petit pont,
protégé par un toit, garni de bancs, traverse un ruisseau
encaissé dans un fossé , creusé à main d’homme," et offre un
lieu de repos agréable, d’ou l ’on aperçoit le rivage ainsi qu’un
édifice singulier qui s’élève à deux pas plus lo in, et qui sert
aux vigies qui surveillent la côte. Cet édifice consiste en une
petite cahute placée sur des poteaux très-élevés, à trente ou
quarante pieds du so l} on en voit de semblables sur toute
la côte.
La crainte des Moros, ou des pirates qui viennent , à la
faveur de la nuit, piller les propriétés et enlever des hommes,
pour les réduire à l’esclavage, est grande à Samboangan, où
la population a néanmoins une réputation de bravoure. Dernièrement
un pêcheur a été enlevé sur la côte, malgré les
moyens de surveillance qui y existent et la présence des chaloupes
canonnières. Ce sont les habitants de Bassilan qui exécutent
ces hardis coups de main. Ils viennent ainsi sur de légères
embarcations conquérir des esclaves.
Je n’ai pas pu savoir si la population de Samboangan est originaire
des lieux où elle habite , ou si elle descend des premiers
occupants provenant des Philippines. Ces hommes diffèrent pour
la force et la taille des habitants de Soog, ils ont aussi les traits
plus caractérisés, et la langue qu’ils parlent diffère du dialecte
des îles voisines. Us ont en grande antipathie les M o fo s , c’est
ainsi qu’ils nomment leurs voisins d’outre-mer, de même que
los Negritos , noirs qui habitent l’intérieur de Mindanao.
Les buffles forment, avec quelques boeufs et vaches, les seuls
troupeaux que les habitants de Samboangan possèdent. Ces
animaux leur servent rarement de monture, mais ils sont souvent
attelés à des brancards qui ont plutôt l’air de traîneaux
destinés à un pays glacé qu’au climat de Mindanao. Ces animaux
paraissent fort dociles ; on les rencontre souvent dans les ruisseaux
, enfoncés dans l’eau jusqu’au nez ; ils ne présentent hors
de l’eau que le bout de leur mufîle et leurs larges cornes renversées.
Quelquefois on est fort étonné de voir l’eau se troubler à
quelques pas de soi et un énorme buffle soulever subitement sa
masse inaperçue. C’est là que leurs maîtres vont les chercher et
qu’ils sont sûrs de les trouver.
Un achat que je désirais vivement faire était celui d’un kam-
p i la n , véritable arme de Mindanao, fabriquée par les indigènes,
et dont la forme est assez curieuse : c’est une lame étroite au
manche, longue de deux pieds et demi à trois pieds et large de
deux pouces environ à la pointe. La trempe de quelques-unes dé
ces armes jouit de quelque réputation, mais je la crois bien
aventurée. Je puis aujourd’hui acquérir un de ces kampilans à
un prix assez élevé (cinq piastres), mais telle est leur rareté,
que ce n’est qu’avec la plus grande difficulté que je puis me le
procurer.
Les habitants de Samboangan semblent aussi tenir beaucoup
à leurs armes et y attachent un grand prix"} le moindre kriss de
Solo,vaut de douze à vingt piastres, et loin de vouloir les céder,
ils demandent si on veut leur vendre des sabres.
La fabrique des kampilans, autrefois très-active, paraît avoir
décliné tout à fait dans les possessions du sultan de Mindanao,
qui lui-même paraît être Un pauvre sire, fort misérable. M. de
la Cruz nous raconte que dans ses visites annuelles il lui fait un
cadeau fort apprécié, en lui donnant ses vieux souliers. Toutefois
, au prix d’une once (quatre-vingt-cinq francs environ), on
peut se procurer une arme passable dans la juridiction du sultan.
C’est de là que viennent celles que possèdent les habitants de
Samboangan.