gelée filante comme du macaroni. Notre hôte nous
montrait le plat d’un air superbe, ayant l’air de
nous dire : Mangez, ceci est mon triomphe. Nous
envoyâmes donc les petits bâtons, et chacun d’avaler.
C’était bon; mais cette viande avait un goût tout
particulier, et avant d’en venir à une seconde bouchée
, nous voulûmes savoir à quoi nous en tenir.
Notre homme nous comprit à merveille, et, baissant
la main à un pied de terre, il poussa deux aboiements
fort distincts ; il n’y avait pas à s’y méprendre,
c’était du chien ; sans doute quelque pauvre et inoffensif
caniche que le misérable avait assommé dans
la rue. Notre première idée fut de lancer le plat à la
figure du Chinois, mais nous nous ravisâmes et continuâmes
à manger à sa grande satisfaction.
» À une table à côté de nous étaient^ assis deux
gros pères chinois ÛLriple menton ; sur leur large
face était empreinte la satisfaction du gourmet. Ils
dégustaient avec délices le fin nid de salangane,
ils jubilaient, ces braves gens ; mais, hélas, tout
est fugitif ici-bas, e t, quand vint l’heure de payer*
c’était plaisir que de voir la mine refrognée et le
gros soupir qui accompagnait chaque roupie qui
sortait de leur escarcelle. Quant à nous, nous en
eûmes pour dix roupies* vingt-deux francs de notre
monnaie.
» La soirée était loin d’être finie ; nous entendions
toujours la voix criarde des artistes dramatiques et la
foule circulait plus flâneuse encore. Nous nous mêlâmes
à cette profusion de queues chinoises, et suivîmes
le torrent, qui nous mena devant une grande salle rectangulaire
entièrement illuminée : c’était une maison
de jeu. Le milieu de l’appartement était occupé par
une grande table, tout autour de laquelle étaient des
bancs adossés à la muraille, et sur ces bancs trente
à quarante figures graves et compassées fumaient des
pipes à longs tuyaux, sur le fourneau desquelles
brûlaient des grains d’opium, dont les vapeurs nous
donnaient des éblouissements; Trois dés roulant sur
la table venaient enlever à la plupart de ces misérables
tout leur gain de la journée. C’étaient généralement
des ouvriers-, des* gens de la basse classe. Sur
leur face impassible, rien, pas. un mouvement de
muscles ne venait trahir l’émotion du jeu , , e t, sans
leurs regards avides, nous aurions pu les prendre
pour autant de statues. Nous quittâmes cette scène
avec dégoût. .
» Up peu plus loin, c’étaient des ombres chinoises ;
mais, sous ce rapport, nous avons laissé nos maîtres
bien loin derrière nous : Séraphin en remontrerait
aux inventeurs eux-mêmes. Les Orientaux ne sont
généralement pas délicats sur le choix de leurs spectacles,
ils paraissaient s’amuser beaucoup des grossières
obscénités qu’on leur représentait.
»Mais peu à peu, toute cette foule,joyeuse diminuait,
leé lumières s’éteignaient, et bientôt,la cité
chinoise rentra dans le calme de la nuit. Nous nous
mîmes en route pour regagner nos, voitures, qui
nous attendaient en dehors. Ce ne fut qu’avec le secours
de notre guide que nous pûmes les retrouver,
vu. 3