bien tragique, car les actrices pleurent, se lamentent et se désespèrent
sans trop se fatiguer pourtant. Il y a dans tout cela, un
mandarin, un mari, un amant et des femmes, mais je ne puis
comprendre le sujet dé la pièce. Ce qu’il y a de plus amusant ,
c’est d’entendre la voix perçante et nasillarde des artistes. Ces sons
me rappellent un peu ce que je m’efforçais de produire autrefois
en me pinçant le nez pour imiter l’accent de mon-vieux professeur
d’écriture.
En somme, je'préfère de beaucoup les ombres chinoises : quand
on a assisté à toutes ces scènes qui valent cent fois mieux que
tout ce qu’on en peut dire, il ne reste plus qu’à entrer chez un
brave et digne Chinois qui tient un restaurant, presque vis-a-vis
le théâtre tragique ; on lui demandera de la'bière et il vous apportera
à souper, mais avec un air si insinuant, si hospitalier,
que vous finirez par manger ses chevrettes délicieuses, son poisson
frais et un pauvre petit plat de tripang préparé. Ce dernier
ragoût rappelle assez celui qu’on fait en Provence avec le poulpe
de la Méditerranée.•
Maintenant si vous aimez le scandale, vous pourrez, pour terminer
vos études de moeurs, pénétrer dans un lieu de mystères et
de ténèbres dans lequel le Chinois plébéien va chercher pour une
faible somme l’ivresse des sens et le délire de l’opium ; de semblables
scènes sont intraduisibles.
{M. Marescot.)
Note 5, page 37.
Je descendis à l’hôtel de Provence, autrefois le meilleur, mais
aujourd’hui le plus mauvais de la ville, et j’eus beaucoup de
peine à y trouver une chambre , l’ayant trouvé envahi par une
quinzaine des officiers de l’expédition. Il était facile de s’apercevoir
au tapage infernal dont, retentissait la maison que
des Français y avaient établi leur domicile ; les uns chantaient,
d’autres s’appelaient à tue-tête et se racontaient d’un
côté de l’hôtel à l’autre les événements de la veille et de la
nuit. Quoique ma présence në vînt pas ajouter beaucoup au
bruit, elle servit du moins à le faire augmenter pour un moment
, toutes les têtes se mettant à la fois aux fenêtres pour
m’interpeller sur les événements de la rade : bref je m’installai et
fis chorus avec la masse. Dans la matinée je pris de nouveau une
voiture pour aller rendre ma visite au contre-amiral Lucas, commandant
supérieur de la marine ; je l’avais connu autrefois au
Brésil, et depuis, je lui avais été envoyé en parlementaire après
la prise de la citadelle d’Anvers à deux lieues de laquelle il commandait
l’escadre hollandaise. N’ayant trouvé que Madame Lucas,
femme d’un certain âge, mais très-aimabley je me déterminai
àpouSser jusqu’au palais où je trouvai l’amiral. Cet excellent
homme me reçut avec une grande cordialité, mais il m’apprit à
mon grand déplaisir qu’il devait partir le surlendemain, ce qui
me priva de la seule maison dans laquelle j’eusse pu trouver
quelque agrément.
Après le dîner, je montai dans ma voiture pour faire une
promenade au Koening’s Plain, ou nous ne vîmes pas d’autres
voitures que les nôtres, quoiqu’on nous ait dit que toutes les no
tabilités- s’y trouvaient chaque jour. Notre promenade nous
conduisit d’abord au palais de Waltevreeden, vaste bâtiment rectangulaire,
sans aucune grâce, flanqué de deux petits pavillons
mesquins: Ce palais avait été construit pour servir d’habitation
de ville au gouverneur. Mais M. Yan den Capelle n’ayant pas
voulu l’habiter, il y fit transporter tous les bureaux des diverse?
administrations de la colonie, destination qu’il a conseï vée depuis.
De là nos cochers nous conduisirent à un café éloigné des
habitations, ou nous retrouvâmes la rapacité des Batâviens dans
toute sa force. Je me souviendrai toujours de' mon étonnement
lorsque pour une tasse de thé et 7 bouteilles de bière on eut l’âu,-
dacc de me faire payer 25 francs. {M. Montravel.)