position des spectateurs, placés en plein vent, et qui tout en
suivant les péripéties de la pièce, pouvaient fumer, boire et manger
en toute liberté. Aucune exclamation, aucune marque d’approbation
ne venait interrompre le dialogue des acteurs. Le
public restait calme et impassible.
Je suppose que le nouvel acteur introduit sur la scène représentait
un astrologue, car souvent il montra des étoiles qui
brillaient au-dessus de l ’assemblée, et il finit par remettre au
principal acteur de la pièce un parchemin singulièrement plié ,
qui contenait sans doute un horoscope. Il passa encore plus de dix
minutes à accomplir de minutieuses salutations, puis il s’éloigna.
Aussitôt le mandarin (je lui donne à tout hasardée titre) ouvrit
le parchemin avec anxiété ; sa main trembla, sa démarche
devint saccadée, puis poussant un cri il se laissa tomber.avec
art ot un abandon complet sur le fauteuil placé dans le fond.
Une scène pathétique au plus haut degré suivit cette chute. Des
pleurs , des gémissements, des plaintes furent articulés ,^ déclamés
ou chantés j et comme cette scène menaçait de durer
longtemps encore, nous nous éloignâmes pour visiter les environs
du théâtre.
Près de là, se trouvait une autre baraque ou la foule se
pressait aussi. Là aussi elle était silencieuse;, mais quelle différence
d aspect I Sur une longue table , des dés renfermés dans
des boites, servaient à un jeu de hasard tenté par un nombre
considérable de joueurs. Des monceaux de monnaies de cuivre
et souvent d’argent changeaient à chaque instant de proprié-r
taires. Le moindre bruit s’entendait au milieu du profond silence
qui pèsait sur cette table, autour de-laquelle se pressait une
foule avide, malgré une chaleur extrême. On étouffait. Parfois
de soudaines contractions agitaient convulsivement les traits de
ceux qui perdaient et attestaient la. violence des émotions qu’ils
éprouvaient. Parmi les joueurs, on remarquait quelques Malais
et un Javanais. &
Nous quittâmes bientôt cette enceinte pour visiter les restaurants
chinois qui l’avoisinent, où la cuisine faite en plein air
permet de voir de • l’extérieur les -mystères'culinaires qui s’y
pratiquent, et les ingrédients qui y sont employés. En général
ils révoltent le goût européen ; ce sont des mélanges informes,
des objets repoussants, tels que de longs vers blancs , dès hachis
de couleur douteuse, des mets où l ’on ne peut distinguer la
forme première des aliments , des plats salement préparés. Ce-
pendstntla curiosité l’emporta sur notre répugnance, et, guidés
par un Hollandais au fait des habitudes de ces lieux, et sur l’éloge
qu’il nous fit de certaines préparations non suspectes, nous
allâmes nous asseoir dans une salle exiguë y où les meubles, de
fabrique et de forme chinoise , ne prévenaient pas en faveur de
l'établissement, car ils étaient malpropres et mal tenus.
Près de nous se trouvaient deux Chinois attablés, buvant
force rasades de vin , et se bourrant de riz à l’aide d’une seule
baguette de bois. Nous;étions assez curieux de savoir comment
ils’ allaient s’y prendre pour porter à leur bouche les grains de
riz placés devant eux ; nous en étions aux conjectures, et nous
ne devinions pas trop la méthode qu’ils devaient employer. Ils
déjouèrent nos suppositions, car , au lieu de faire preuve
d’adresse comme nous nous y attendions, ils rapprochèrent
simplement le plat de leurs lèvres, et à l’aide du bâton, ils
fourraient dans leur bouche l’aliment qu’il contenait, Ils paraissaient
jouir d’un admirable appétit.
Ce spectacle n’était pas fait précisément pour dissiper nos préventions
à l’égard de;la cuisine chinoise. Cependant, sur les exhortations
et les éloges; de notre guide, qui avait fait un choix
convenable, et après avoir exploré cfu regard les mets qui nous
furent présentés, nous nous décidâmes à y goûter. La première
bouchée rétablit la confiance ; ils étaient fortement épicés, mais
agréables au goût. Novices dans les habitudes du service chinois,
nous fûmes fort embarrassés pour nous servir de nos petits