que l’on puisse rencontrer. On peut suivre dans la
plaine les deux branches de la rivière qui descend
des montagnes, pour se diviser tout près de la position
que nous occupions. Une partie se dirige alors
vers Samboangan, tandis que l’autre va arroser les
rivages du golfe des Illanos. Cette dernière branche
est la plus considérable; elle offre à son embouchure
un petit port où vont se ^réfugier, à l’époque de Ja
mousson d’ouest et dans les mauvais temps, les canonnières
delà flottille, qui ne trouvent pas un abri
assuré sur la rade de Samboangan.
A une lieue environ de ce petit port, s’élève un village
dépendant de Samboangan, qui compte environ
600 habitants.
La ferme de la Toumanga est habitée par une fa
mille tagale ; le chef, appelé don Maurice de Léon, nous
en fit les honneurs u c’était un vieillard d’une figure
agréable, et dont le caractère énergique, peint sur
sa physionomie, prévenait en sa faveur. Il s’empressa
de nous offrir des cocos pour nous rafraîchir, puis il
alla puiser de l’eau à la rivière , et nous; la présenta
comme jouissant de propriétés merveilleuses. Cette
eau, malgré l’éloge que nous en faisait notre hôte,
eut fort peu de succès; je savais que lion attribuait
des propriétés médicales aux eaux de la rivière, parce
que l’on assurait qu’elles roulaient sur un lit tapissé
de salsepareille ; je voulus m’assurer du fait, et nous
reconnûmes bien vite que ce que les habitants avaient
pris pour de la salsepareille n’était autre chose qu’un
petit arbuste qui croît en abondance sur les bords
de la rivière, mais qui n’a aucune ressemblance
avec cette plante médicinale.
Le vieillard, qui nous présentait la coupe puisée
par lui dans la rivière et qui nous en vantait les
qualités, était cependant bien fait pour nous la recommander
, car il en faisait usage depuis un demi-
siècle, et il paraissait être encore plein de vigueur
malgré ses quatre-vingt-neuf ans. C’était un vieux
soldat de l’armée de Luçon, et il. combattait déjà
dans ses rangs à l’époque ou la ville de Manille fut
prise par les Anglais , en 1762. C’était probablement
le seul témoin d’une action qui appartient aujourd’hui
au domaine de Fhistoire. Nous l’écoutâmes
avec intérêt pendant qu’il nous la racontait. M. de
,1a Cruz nous avait dit que cet homme avait d’autant
plus de droit de nous parler de cette action ,
que dès cette époque, quoique fort jeune, il s’était
distingué par son courage dans les rangs de l’armée
espagnole, et que par la suite il avait beaucoup contribué
à repousser les ennemis de son pays. Ce
brave homme était si heureux de trouver quelqu’un
à qui il pût parler de cette époque brillante de sa
jeunesse, que ses yeux s’animèrent d’un nouveau feu,
la courbure de sa taille, inséparable dun âge au^si
avancé, disparut presque en entier, et il reprit une attitude
martiale qui suffisait pour donner l’idée la plus
favorable de ce qu’il avait dû être dans sa jeunesse.
Il eût bien voulu nous garder jusqu’à la nuit, mais
l’heure nous força de quitter cette délicieuse retraite,
où l’on est étonné de ne voir personne se fixer.