de la cire et des perles ; je lui répondis que nous ne faisions
pas le commerce et ne portions pas de marchandises.— Mais
que faites-vous donc? me dit-il. — Nous allons à la découverte
des terres inconnues et nous faisons les plans de celles qui sont
mal connues. Cela lui parut peu concluant, car il ne connaissait
en fait de navigateurs que des marchands et des pirates, et
je crois bien qu’il nous rangea dans cette dernière catégorie,
malgré mes dénégations constantes.
On nous apporta bientôt une table couverte de quatre plateaux
; dans chacun d’eux était une tasse de chocolat à l’espagnole,
des gâteaux et des confitures chinoises de toute espèce.
L’aspect de la salle où nous nous trouvions était on ne peut
plus remarquable : des caisses, des malles, des fauteuils dorés,
des lances, des fusils, des kriss y- étaient rassemblés pêle-mêle ;
elle présentait tout le désordre d’une caverne de brigands enrichis
par le pillage.
( M. Coupvent. ). ',
Note 19, page 202. -,
Je descends à terre ce matin avec l’embarcation chargée d’aller
chercher le boeuf quotidien que nous vend le datou Tahel.
Nous pouvons voir à notre aise, en passant auprès de deux
ou trois praos mouillés près du rivage et abandonnés par leurs
équipages, de jolies pièces de canon en bronze, placées sur
l’avant et quelquefois aussi sur l’arrière ; un de ces bateaux en
possédait deux toutes neuves ; ellès étaient fixées sur des affûts
immobiles, à en juger par leur structure, et qui par conséquent,
devaient empêcher de pointer ailleurs que dans l ’alignement
de la proue.
Quoiqu’il fût de bonne heure et que datou Tahel ne se lève
qu’à neuf ou dix heures, à notre arrivée, il vint nous recevoir
et nous introduisit dans sa maison , édifice assez vaste, élevé sur
pilotis, et dont la longueur approximative peut avoir 80 à
100 pieds sur 30 à 35 de largeur. L’intérieur de cette maison
présentait assurément l’aspect d’une demeure de pirate : des
caisses, des malles empilées contre les parois, des lances, des
boucliers , des kriss appendus çà et là , des instruments de musique
, violons , guitares, flûtes, s apercevaient d’abord ; puis ,
dans un coin , on découvrait ensuite une quarantaine de crosses
<te fusils bu de tromblons, et même dans un enfoncement j’aperçus
deux petits canons. Que d’événements tous ces objets
auraient pu raconter, s’ils avaient pu parler, et combien de
propriétaires avait-il fallu dépouiller pour les acquérir? Le
spectacle eût été encore plus curieux si {’intérieur des coffres
eût offert à la vue leur contenu ; que de rapines entassées,
combien de larcins commis, et peut-être aussi combien de sang
répandu !
La personne du possesseur de ces objets n’était pas en harmonie
avec les idées de meurtre et de pillage évoquées par
cette première vue ; loin de présenter l’aspect farouche ou du
moins vigoureux et déterminé d’un véritable écumeur de mer,
sa physionomie était douce, fatiguée par des rides précoces, mais
gracieuse et avenante ; il parlait un peu espagnol, et après les premières
salutations, il nous conduisit auprès de fauteuils faisant
face à une élévation du so l, formant une" espèce de grand lit entouré
de rideaux où il s’étendit mollement sur des coussins. Près
de lui se trouvaient une longue lance, diverses petites caisses,
des kriss à demi enfouis sous des nattes et une lampe en cuivre
servant à allumer sa pipe à opium, dont il paraissait faire un
usage très-fréquent.
Datou Tahel est le fils de l ’émir Bahar, qu’un voyageur français
, auteur de la partie de V Univers pittoresque qui traite de
l’Océarnie, M. de Rienzi, paraît avoir connu à son passage aux îles
Solo. D’après lui, cet émir Bahar avait été un homme possédant
beaucoup de connaissances hors de la portée de ses concitoyens.