bordée nie conduisit très-près de la pêcherie que j’avais vue le
matin. D’abord je ne distinguai qu’une case de bambou, haut
perchée sur des pilotis de 15 à 20 pieds ; en approchant davantage'
je vis entre ces pilotis et sur une forte traverse une grosse
poutre à bascule supportant à l’une de ses extrémités un filet
rond de 10 à 12 pieds de circonférence ; des hommes faisaient
basculer tout le système au moyen de fortes pierres qu’ils faisaient
glisser sur la partie arrière de la poutre. Gomme nous
passions à côté d’eux, nous les vîmes lever leur filet : il était plein
de petits poissons.
Mais plus j’allais, plus je trouvais le courant violent; il se
faisait nuit noire, et nous distinguions à peine les feux des corvettes.
Plusieurs fois je fus obligé de faire mouiller le grappin,
pour donner un peu de repos à mes hommes; enfin chacun redoubla
de vigueur et .à dix heures et demie nous touchions à
l’échelle de Y A strolabe : il était temps, l’équipage du canot était
harassé.
Le canot de la Zélée, plus léger, était à son bord depuis près
d’une heure.
Ges Messieurs, sans s’écarter beaucoup du rivage, avaient
aperçu au milieu d’une belle plaine un assez gros village, et Jac-
quinot avait tué un singe pourvu d’un magnifique nez. C’est
une espèce fort rare, et qui plus est un desiderata du Jardin des
Plantes. •
{M. Demas.)
Note 15, page 202.
Le 22, à l’heure indiquée* les embarcations portant nos
couleurs nationales, se. mirent en route , et se dirigèrent sur la
ville ; Y Astrolabe au même instant fit un salüt de treize cpups
de canon, et les deux corvettes déployèrent les grandes enseignes.
En quelques minutes , nous atteignîmes cette ville entièrement
bâtie sur l’eau, et dont toutes les cases, reposant sur des pieux,
sont garnies, tout autour, d’une plate-forme en bambous, qui
permet de circuler de l’une à l’autre. Passant sur les ponts qui
servent de communication entre les divers quartiers, nous abordâmes
une petite plage de sable, non loin du fort, où nous
savions qu’était la résidence du sultan ; c’est le seul édifice qui
soit élevé sur la terre ferme, fortification du reste très-grossière,
peu haute, affectant une forme presque ronde, et renforcée
dans son pourtour par de grandes pièces de bois verticales
, dans lesquelles on a ménagé quelques embrasures pour
des canons qui nous parurent en mauvais état, et incapables de
faire beaucoup de mal.
Avant de mettre pied à terre, il nous fut facile de voir que
notre arrivée avait jeté la terreur parmi la population ; tous les
hommes couraient aux armes, et étaient en mouvement : le
tambour et le fifre qui, durant notre trajet, n’avaient cessé de
faire,entendre des marches guerrières; les mousquets que portaient
nos marins ; les pierriers et espingoles qui garnissaient le
plat-bord de nos canots ; le nombre des officiers, tous en tenue
brillante, et armés pour la plupart de fusils à deux coups,
étaient autant de circonstances qui portaient à penser que l’annonce
d’une visite amicale n’était qu’un prétexte, et que nous
ne venions, en réalité, que pour combattre et détruire ; cet ap -
pareil; déployé dans le seul but de montrer de la considération
pour le chef de S o lo , et de toucher sa vanité, avait jeté i’a-
larme dans les esprits, avait exalté toutes les têtes. Nous débarquâmes
néanmoins, et le détachement forma ses rangs : bientôt
nous fûmes entourés d’üne multitude toujours croissante d’individus
qui, armés de lances et de poignards, paraissaient apporter
des intentions peu pacifiques, et semblaient,au contraire, disposés
au premier signal à commencer les hostilités. Quelques chefs
étant survenus , ils parvinrent, non sans quelque difficulté, à
écarter cette tourbe ; nous finîmes par nous èntendre, l’effer-
vesçençe parut se calmer, et nous nous rendîmes, en ordre, chez
vil. 19