demandant presque à genoux qu’on le sauvât d’une mort certaine
en lui donnant asile ; sa joie fut grande, quand on lui promit
de le garder ; rassuré bientôt sur son sort et se voyant à l’abri
de notre pavillon, il s’endormit promptement et avant le jour
alla se cacher dans la cale dont il né sortit qu’après notre départ.
Notre réfugié nous a confirmé ce que nous avait dit Tahel,
que les Soloans n’étaient pas eux-mêmes des pirates , mais simplement
des recéleurs, et que les écumeurs des autres îles faisaient
de Solo leur principal entrepôt. Il paraît d’après lui que
leur quartier général est à la petite île Bouguigni, à quelques
lieues dans le S.-E. de Solo. C’est un renseignement qui peut
être utile par la sui te en ce qu’il pourra mettre sur la trace de ces
coquins, ceux qui auraient à en tirer vengeance. Les Soloans sont
en général mahométans; peu d’entre eux ont plusieurs femmes
légitimes, excepté les datous, dont quelques-nns en ont trois au
plus. Le nombre des concubines n’est limité que par la bourse de
chacun, et les richès en usent immodérément ; cet abus dé femmes
et celui de l’opium les énervent presque jusqu’à l’abrutissement.
L’île de Solo est une dès plus belles et des plus pittoresques
que nous ayons vues depuis notre campagne ; elle est d’une
fertilité remarquable; elle produit tous les fruits et les légumes
des pays intertropicaux et nourrit une grande quantité de
boeufs et de chevaux. Il est rare de rencontrer un habitant de
la campagne autrement que sur un boeuf ou un cheval c’est
le seul moyen de transport dans un pays montagneux èt privé
de toute route. Bans leur accoutrement de guerre, avec leur
casque en cuivre, leur cotte de mailles, leu r ’lance et leur
bouclier, ils représentent parfaitement les cavaliers du moyen
âge et donnent un aspect on ne peut plus pittoresque à ce
pays. Je reviens à ma promënade dans la ville : tout en
causant avec notre ami Tahel, le temps s’était écoulé assez
promptement ; onze heures étaient arrivées sans que nous nous
en fussions aperçus, et comme c’était l’heure à laquelle il y avait
le plus de montagnards dans la v ille , nous, la choisîmes pour la
parcourir et juger de son ensemble. Avant de sortir de la maison
de Tahel, nous fûmes prévenus de nous tenir sur nos gardes
et nous ne manquâmes pas de suivre cet avis. Presque toute la
ville est bâtie sùr pilotis, au milieu des eaux, et chaque maison
communique avec la voisine par un pont en bambous ou simplement
par un tronc de cocotier, ce qui indique la crainte que
chacun a d’être pillé par son honnête voisin; les maisons les
plus voisines du rivage communiquent par un pont semblable.
Par cette disposition de la ville, on circule d’une rue à l’autre,
comme dans chacune des rues, par une série de petits ponts, sans
garde-fou, sur lesquels il faut soigneusement conserver son
équilibre, si l’on ne veut prendre un bain forcé, par une chute
de dix pieds de haut. De chez Tahel au rivage il n’y avait qu’un
pas à faire ; un bond nous en fit franchir la distance et nous nous
trouvâmes sur une plage étroite, resserrée entre la mer et une
palissade.de quinze pieds de. hauteur, prolongeant le bord de la
mer et isolant la ville aquatique de la ville terrestre, composée
de cases parsemées en dedans de cette muraille, curieuse par la
peine.et les travaux qu’elle a nécessités. Elle se compose.de deux
rangées de trônes d’arbres se touchant, séparées par un intervalle
de sept à huit pieds, rempli de pierres et de terre ; c’est une bien
faible défense contre une agression par mer dirigée par des navires
armés de canons, mais plus que suffisante pour repousser toute
attaque sans artillerie. Quelques embrasures armées de mauvais
canons, la plupart hors, de service, complètent la défense de la
place. Le palais du sultan est dans un fort construit dans le même
style, et que deux pu trois obus réduiraient en cendres. En suivant
cette muraille, nous arrivâmes à une petite place couverte
de peuple, de chevaux et de boeufs ; chaque homme, chaque
enfant au-dessous de huit à neuf ans, avait une lance à la main
et un criss au côté ; c ’était le marché ; où chacun venait ainsi
armé, pour vendre ou acheter une poule, quelques oeufs ou