le sultan qui nous attendait, et qui paraissait très-ému, il nous fit
un accueil, froid et contraint. Des sièges étaient disposés autour
d’une table, nous y primes place, le commandant ayant à Sa droite
le premier ministre qui parlait un peu la langue espagnole, et
qui, par conséquent, était appelé à servir d’interprète. M. d’Ur-
ville expliqua de nouveau, le but amical dans lequel il était
venu, ajoutant qu’il était d’autant plus disposé à appuyer
la première démarche qu’ils avaient déjà faite , qu’il y voyait
pour l ’avenir une sûreté de circulation pour les navires de
commerce qui n’avaient, jusqu’à présent, évité leur île qu’à
cause des actes bien connus de piraterie dont quelques-uns
avaient été les victimes. Ni ses paroles nie les cadeaux généreux
qu’il fit étaler sur la table , et qui furent acceptés, ne furent
capables.de dissiper les soupçons et d’amener la confiance; le
sultan ne desserra pas les lèvres, et le datou ne prononça que
quelques mots insignifiants qui n’avançaient nullement la question.
11 était visible que tous deux étaient sous l’empire dé la
crainte causée , à ce que nous apprîmes ensuite , par une conviction
intime que notre pavillon n’était pas celui que nous avions
arboré, mais que nous étions sujets du roi de H o lla n d e , et envoyés
pour tirer vengeance de quelques crimes commis sur ces
derniers par des forbans dépendant de l’autorité du chef de
S o lo .
Durant cette conférence, la salle s’était remplie d’individus
armés jusqu’aux dents ; une forêt de piques s’était formée autour
de.nous; nos matelots placés en dehors se trouvaient comprimés
parlàfbule, etavaient beaucoup de peine àmaintenir leurs rangs ;
les naturels de la montagne , avertis de notre présence, commençaient
à descendre par bandes, et s’opiniâtraient à violer la
consigne qui avait été donnée de leur défendre l’entrée de la ville.
La position pouvait, à tout instant, devenir inquiétante: le
moindre signal, la moindre dispute, un rien pouvait engager
cette multitude à se ruer sur nous, età nous faire un parti d’autant
plus mauvais, qu’assis et pressés comme nous l’étions, il
nous eût été impossible de résister, et de nous mettre en défense.
Voyant qu’il était inutile d’appuyer plus longtemps sur le
principal motif qui nous avait amenés, et que nous ne pouvions
faire cesser l’état de frayeur dans lequel se trouvaient les chefs,
nous voulûmes au moins faire tourner cette relâche au profit
de la science, et, par pure politesse, nous demandâmes l’autorisation
pour les naturalistes, de faire des courses dans l’intérieur,
ainsi que célle d’établir à terre nos instruments d’astronomie
et de physique. II nous était permis de compter sur la liberté de
circulation, et nous étions loin d’y voir lé moindre empêchement
; il n’en fut cependant pas ainsi : les deux puissances conférèrent
quelques minutes, et le datou nous communiqua le
résultat de cette délibération, résultat qui nous remplit d’étonnement
dans un pays où nous croyions que le despotisme régnait
dans toute sa force, et faisait plier toutes les têtes sous sa volonté.
Le sultan ne pouvant, dit-il, répondre de ses sujets, et
prévoyant des insultes, et même des dangers pour ceux qui
voulaient explorer la campagne, nous engageait fortement à ne
pas tenter l ’entreprise ; quant aux officiers qui désiraient se livrer
aux observations de physique et d’astronomie, il tâcherait de
les garantir de tout danger, en les entourant d’une garde
d’hommes dévoués ; mais encore ; malgré cette précaution, il
n’osait leur promettre une tranquillité entière.
Définitivement, il n’y avait rien à tirer de ces forbans, avec
lesquels on ne devrait entrer en rapport qu’àprès leur avoir envoyé,
pour préliminaires, quelques volées de canon. Quoique
convaincus qu’il n’y avait de bien réel, en tout cela, que de la
mauvaise volonté, et que le désir dominant était de susciter des
entraves pour nous engager à quitter la rade le plus tôt possible,
nous ne voulûmes cependant pas courir là chance dont on nous
menaçait, et nous préférâmes renoncer à toute excursion, plutôt