bonne famille, nous acceptâmes la proposition que nous fit le
consul de monter en voiture et d’aller visiter une plantation de
cannes à sucre dont il était le créateur, et qui réussissait envers
et contre tous ceux qui n’avaient cesse de lui crier aux oreilles
qu’une pareille spéculation était inexécutable dans un pays dont
le sol ingrat, bien reconnu n’être susceptible de presque aucune
culture, devait, surtout, se montrer rebelle à celle qu’il entreprenait.
Ne se laissant pas intimider par ces pronostics qui n’avaient
aucun fondement, et jugeant d’une manière toute différente,
d’après son expérience et l’examen, qu’il avait fait, il
avait poursuivi son idée et n’avait pas craint de se mettre à
l’oeuvre; aujourd’hui il a planté et défriché un millier d’acres
de terrain, qui sont en plein produit, et garnis de belles cannes
qui lui assurent le dédommagement de ses peines, de ses efforts
et de ses dépenses. Il a même l’intention d’agrandir sa.propriété,
et de la pousser par la suite jusqu’à dix mille acres» En voyant
un pareil résultat, les préventions n’avaient pas tardé à s’é teindre
, et déjà se montraient des imitateurs parmi ceux q u i,
au commencement, s’étaient déclarés les plus hostiles et avaient
prédit la ruine complète de l’audacieux entrepreneur.
La compagnie anglaise, maîtresse du sol de Sincapour, laisse
pleine et entière liberté de faire des défrichements et des plantations
; elle se contente de prélever un fort minime tribut, et
cela seulement après les cinq premières années, durant iles^
quelles elle n’exige rien ; mais aussi, jusqu’à présent, elle n’a
livré aucun contrat de concession et n’a assuré aucune garantie
aux défricheurs, qui n’en continuent pas moins leurs travaux
sans crainte et sans inquiétude, l i me semble qu’à leur place je
ne rue laisserais pas aller à la même tranquillité, et que je chercherais
à me mettre en garde contre lé cas où, se ravisant et
déclarant qu’elle n’a jamais entendu se dessaisir du droit de
propriété, elle viendrait à imposer telles charges et telles conditions
qui lui paraîtraient convenables.
En rentrant à bord sur les dix heures du soir, nous fûmes surpris
d’apprendre que M. de C ourvoisier, évêque de Nilopolis, et
attache aux missions étrangères, avait envoyé son vicaire pour
nous complimenter sur notre arrivée; nous ignorions la présence
à Singapour de ce dignitaire ecclésiastique, et Je lende-’
main nous nous disposions à lui rentre visite, lorsque nous le
vîmes arriver lui-même. Après s’être arrêté quelques instants
sur l’A stro la b e , il vint également sur la Z é lé e , e t reçjit à son
départ un salut de neuf coups de canon de chacun des deux navires.
Il n était que depuis peu de temps dans cette colonie, et
résidait antérieurement a- S ia tn , qu’il n’avait quitté que lorsqu’il
avait pu y laisser un coadjuteur à sa place. Nous acceptâmes
une invitation a dejeuner qu’il nous.fit pour le jour suivant
, et la , la connaissance étant commencée, nous pûmes
converser plus à l’aise ; nous trouvâmes dans monseigneur l’évêque
un homme agréable, instruit, entièrement dévoué à son
mandat, et par cela même, un peu intolérant. Par un malentendu
, il ne voyait pas M. Balestier, qu’il reconnaissait, néanmoins,
comme s’étant toujours montré disposé à rendre service
à ses prédécesseurs, et il épiait, nous dit-il,; la première occasion
favorable pour faire connaissance avec ce consul. M. le
commandant dTJrvillè fit naître immédiatement cette circonstance
en les réunissant tous les deux chez lui, le lendemain
1er juillet, et établit entre eux des relations que j’ai tout lieu de
penser ne devoir jamais être bien intimes.
La place de Singapour, pleine d’activité et de vie à l’époque
où arrivent les jonques de la C hin e , offrait peu de mouvement
lors de notre passage ; d’après tout ce que j’avais entendu dire
sur cette colonie qui était un vaste entrepôt de tous les produits
de l ’Inde et de la Chine, je m’attendais à voir et à admirer ; je
fus désappointé lorsque demandant des objets d’arts et d’industrie
chinoise, l’on ne me présenta que des choses de rebut'et
d’une qualité très-inférieure, donnant pour raison que nous
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