elles sont séparées entre elles par un canal ou plutôt
par une lagune assez large où étaient mouillés dix à
douze praos aux formes fines et gracieuses. Les gueules
des, petits canons de bronze qui se montraient sur
leurs ponts indiquaient des intentions tout à fait
belliqueuses. Nous traversâmes cette flottille, et vînmes
atterrir aux premières cases.
»Cescases, construites en bambou comme celles
de la Malaisie, étaient perchées sur de forts pilotis
de dix à douze pieds de hauteur ; elles étaient entourées,
d’une galerie circulaire sur laquelle on arrivait
par une façon d’échelle. Des deux côtés du canal, ces
galeries étaient couvertes d’une foule immense parmi
laquelle je ne vis pas une femme. Nus jusqu’à la
ceinture, armésd’une lance et d’un bouclier, le kriss
passé à la ceinture, tous ces hommes paraissaient en
proie à une vive surexcitation; de tous les points, je les
voyais accourir autour de moi brandissant leurs armes,
et poussant des cris et des hurlements sauvages.
Cependant je n’avais rien à redouter ; nos corvettes
leur avaient inspiré une qrainte salutaire. Toutes ces
démonstrations guerrières, tous ces cris n’étaient
que vaine fanfaronnade* et sous leur mine formidable,
la plupart d entre eux tremblaient de tous leurs membres.
Nos corvettes étaient là , sombres et mena-
çantes, et la vue des gueules béantes de nos canons
les calmait singulièrement.
»Je mis pied à terre au milieu de la foule qui s’écarta
assez respectueusement^ et laissant le canot
sous la surveillance d’un elève auquel je recommandai
de se tenir à flot et de ne laisser débarquer aiicun
de ses hommes, je fis entendre à mes quatre esta-
fiers qu’ils eussent à me conduire chez lé sultan.
Nous nous mîmes en marche, mes gardes du corps
me placèrent au milieu d’eux, les premiers ïàis'âient
ranger la populace, et les deux autres suivaient armés
d’un long fouet pour chasser les gamins qui se
pressaient sur nos pas.
»Les cases où je débarquai forment un groupe à
part : il est joint à la ville par un pont de près d’une
encablure de longueur, et j’eus besoin de toute mon
adresse pour ne pas me jeter vingt fois à là mer. Ce
pont d’acrobates était composé de deux planches vermoulues
* posées sans garde-fou sur de longs bambous
de quinze pieds de hauteur : elles étaient mal
jointes et si mal ajustées sur leurs frôles appuis que
chaque bouffée de vent faisait vaciller tout l’édifice;
le poids seul d’un homme semblait devoir le
faire écrouler. Mes coquins, avec leurs larges pattes
nues, marchaient d’un pas ferme et lui imprimaient
de telles vibrations qu’elles me faisaient chanceler à
chaque pas et m’obligeaient à avoir continuellement
mes deux bras en balancier, position qui n’allait pas
le moins du monde à la gravité de mon caractère
d’ambassadeur.
»Je franchis enfin sans encombre, et me trouvai
dans 1 e Campbng chinois : ici les maisons .-étaient
mieux construites et indiquaient l’esprit plus industrieux
de leurs habitants : elles étaient assez rapprochées
les unes des autres* et formaient une longue rue