celles que peut imposer la forcé. Je n’en persistai pas
moins à faire au sultan une visite officielle, afin de
m’entendre avec lu i, et je voulus déployer dans cette
circonstance tout l’appareil militaire capable de rendre
ma démarche le plus efficace possible.
Pendant le reste de la journée , les naturels ne se
montrèrent point à bord de nos corvettes : il était
évident que leurs craintes ne s’étaient point totalement
dissipées, et qu’ils conservaient une grande défiance
envers nos bâtiments, qu’ils supposaient toujours
être des navires de guerre hollandais. Quelques
embarcations vinrent rôder autour de nous , en se
tenant à une grande distance ; mais comme dans ce
moment on ouvrait les sabords pour aérer les navires,
les naturels aperçurent nos canons, et ils se hâtèrent
de se ranger derrière les corvettes, évitant avec
soin dé se trouver dans la direction des bouches à
feu ; enfin le coup de canon de retraite, tiré par Y Astrolabe
au coucher du soleil, les fit rapidement fuir
vers la terre, où bientôt les embarcations disparurent
dans la rivière.
Dans la soirée, MM. Ducorps, Lafond et Desgraz
profitèrent d’une embarcation dirigée par un bisayas
de l’équipage du navire portugais, pour descendre à
terre. « Peu d’instants suffirent, ditM. Desgraz, pour
nous mettre au pied d’une mauvaise échelle de bois
attenant aux premières maisons de la ville , habitées
par des Chinois. De légers ponts, étroits, flexibles,»
formés très-souvent par une simple planche, établissent
des communications entre ces maisons bâties sur
des pilotis de six à sept pieds de haut. Pendant que
nous cheminions sur cette route acrobatique, nous
remarquions, dans les indigènes que nous rencontrions,
un air de méfiance prononcée. Plusieurs portaient
là main sur leurs longs kriss, lorsque nous
passions à leurs côtés; et pour ma part, je pensais
qu’il était plus prudent de rétrograder.
» Après plusieurs détours, nous atteignîmes la terre
ferme et nous passâmes au milieu d’un marché de
fruits* où des femmes, vêtues d’un simple sarang,
vendaient des bananes, des mangoustans, des fruits
ressemblant à des prunes, etc. Près de là se trouvaient
des boeufs sellés et bridés, ainsi que des chevaux,
qui probablement avaient servi à transporter
ces comestibles* Du reste, là population conservait
toujours un air méfiant ; un groupe d’hommes armés
suivait constamment nos pas et échangeait parfois un
mot ou deux en espagnol. Peut-être la froideur apparente
que nous remarquions n’avait-elle rien de
désobligeant pour nous ; peut-être même ces précautions
étaient-elles la conséquence des moeurs de ces
hommes livrés à la piraterie. Toutefois cette vue n’avait
rien de rassurant pour nous. Pour la première
fois nous voyions entre leurs mains des kriss aussi
longs que ceux qu’ils portaient ; quelques-uns avaient
jusqu’à trois pieds de long.
» Déjà la nuit s’approchait, lorsque nous dépassâmes
une enceinte de palissade^ où une embrasure
carrée nous laissa voir un vieux canon rouillé et en
mauvais état, d’un calibre assez fort, que j’ai estimé