vengeur; il n’était que sabres et poignards, un véritable
héros de la Porte-Saint-Martin ; mais avant de
dégainer ses dagues, il fit au traître une chaleureuse
allocution, toujours sur le même ton lent et criard.
Il lui reprochait probablement sa cruauté, et l’autre
persistant dans le péché, il termina par l’abattre d’un
air superbe.
» De temps à autre, une ritournelle et des danseuses
venaient faire diversion à ce lugubre spectacle.
La musique se composait d’un gong, d’une sorte de
mandoline à une seule corde, et d’une flûte, dans laquelle
le musicien soufflait avec les narines. Je ne
crois pas qu’il soit possible d’entendre de charivari
plus discordant. Les actrices étaient généralement
laides, une seule trouva grâce à nos yeux : c’était
une jeune fille de quinze à seize ans; sa.robe de soie
bariolée, serrée autour de la taille par une riche
ceinture dont elle tenait les deux bouts, venait s’arrêter
au-dessous du sein, laissant la gorge, les épaules
et les bras nus; ses cheveux, d’un noir de jais,
étaient relevés à la chinoise et retenus sur le sommet
de sa tête par une longue aiguille d’or; elle
dansait un pas lent et lascif, et quelquefois., sans que
les pieds parussent bouger, elle imprimait à tout son
corps les mouvements les plus gracieux, les plus voluptueux.
Nos Chinois n’applaudissaient pas, ils eussent
cru manquer par trop à leur dignité > mais ils
se pâmaient d’admiration, et quand la bayadère eut
fini, une pluie de roupies vint tomber à ses pieds.
Cette femme, malgré ses yeux bridés, était vraiment
jolie. Le spectacle fini, on se rendait en foule dans
les petites boutiques des restaurateurs qui bordent la
place; sur les devantures étaient étalés toutes sortes
de comestibles : homards, belles chevrettes, tripangs,
nids d’hirondelles, tous les beaux fruits de Java s’offraient
à l’envi au gourmet chinois. Nous suivîmes le
flot qui nous entraînait chez le Yéfour du lieu. Celui
ci, tout fier de voir chez lui des officiers français,
se multipliait pour nous servir tout ce qu’il avait de
mieux.
» Sur une petite table d’une propreté irréprochable
et garnie des ustensiles d’usage, c’est-à-dire d’assiettes
microscopiques en magnifique porcelaine, et
des deux petits bâtons d’ivoire, on nous apporta d’abord
une gelée blanchâtre, sur laquelle étaient quelques
tranchée de poisson : c’était une espèce de
purée de nids d’hirondelles, épicée à emporter la bouche;
nous en conclûmes que le mets favori des Chinois
a besoin d’ètre relevé, et * pour n’en pas avoir
le démenti, nous avalâmes consciencieusement. Notre
hôte nous regardait faire avec bonheur ; ses petits
yeux pétillaient avec plaisir. Après cela nous vîmes
arriver une foule de petits plats. Qui que vous soyez,
si vous dînez jamais chez un restaurateur chinois, je
vous recommande la salade de homards et de chevrettes
au soya. C’est une excellente sauce faite, je
Crois, avec du jus de viande, et dans laquelle entrent
beaucoup d’aromates. Nous trouvions tout cela excellent,
lorsqu’on nous apporta en grande pompe des
tranches très-minces d’une viande blanchâtre sur une