canot de Y Astrolabe fut moins heureux que nous:
parti plus tard, il trouva un très-fort courant dû à la
marée, qu’il ne put surmonter, il lui fallut jeter l’ancre
pour attendre un moment favorable, et il ne gagna
Y Astrolabe qu’au milieu de la nuit.... Le lendemain
matin, nous étions déjà loin de Sambas, je montai
sur le pont pour voir ce qu’était devenu mon singe.
Je le trouvai couché dans la chaloupe, sur un lit fait
avec soin de morceaux de toile à voile ; l’infirmier à
qui je l’avais confié lui avait posé une sangsue sur
l’oeil blessé , et entouré la tête de bandelettes ; dans
cet accoutrement la pauvre Nasique avait la plus grotesque
figure qu’on puisse s’imaginer ; elle supportait
tout sans se plaindre et tendait les mains vers ceux
qui l’approchaient. Elle faisait le sujet dès naïfs commentaires
des matelots qui l’entouraient sans cesse.
L’un d’eux , en voyant ses dents usées et noircies,
semblables à celles des Malais, s’écria : « Tiens! ces
» femmes des bois,' ça chique pourtant le bétel ! »
» Le lendemain elle accoucha d’un petit singe
mort, elle semblait aller mieux. J’eus un instant
l’espoir de la conserver, mais au bout de deux jours
elle expira. Mon ami Goupil dessina ses traits,* qui
seront perpétués par la gravure. Sa peau, préparée
avec soin , ornera un jour le Musée du Jardin-des-
Plantes....»
Je m étais volontairement chargé de plusieurs paquets
adressés au missionnaire Doty établi à Sambas ;
mon intention était bien y en effet, d’aller dans, mon
embarcation visiter cet établissement hollandais.
Les renseignements que nos officiers parvinrent à se
procurer à terre des pêcheurs malais habitant une'
C a se , la seule qu’ils aient aperçue dans les abords de
la rivière, m’apprirent que les naturels comptaient
trois journées de marche dans la rivière pour la remonter
jusqu’au poste néerlandais. M. Demas avait
trouvé un courant très-rapide, et les canotiers qui
avaient fait partie de l’équipage du canot étaient3
rentrés paraissant écrasés par la fatigue ; je craignis
avec raison que si nos équipages avaient encore
à supporter plusieurs corvées de ce genre, ils
n’attrapassent facilement des dyssenteries et des
fièvres, sur ces côtes marécageuses, surtout avec
le soleil brûlant de ces contrées. J’avais donc facilement
renoncé à tout projet de visite à l’établissement
hollandais, mais je désirais vivement
disposer dé ma journée pour me rendre au village1
chinois de Pumankab, que l’on m’avait assuré n’être-
pas très-loin de l’embouchure de la rivière. • J’aurais
été curieux de voir cette colonie indépendante du Céleste
Empire, qui a choisi la grande terre de Bornéo
pour y planter ses tentes, et qui, chaque année , se re-‘
crute de nouveaux venus sortis de la Chine, souvent
pour n’y rentrer jamais. Malheureusement notre
mouillage était détestable, le moindre coup de vent
pouvait perdre nos navires * et'le temps’était des plus
menaçants;, à mon grand regret je crus devoir renoncer
à tous mes projets et remettre à la voile sur-le-
champ.
Le courant de la marée montante nous portait