très-bavard; il nous accabla de questions sur la
France et ses datous, sur la Hollande et son sultan.
Quel était le plus puissant de ces deux pays? Si l’on
y trouvait beaucoup de perles et d’écailles de tortues?
etc., etc, M. Boyer eut la complaisance de lui tracer,
sur mon album, une carte de l’Europe et de lui en faire
l’explication. Morokia poussait des exclamations, il
paraissait parfaitement comprendre et était enchanté;
Il prit le crayon des mains de M. Boyer, et pour nous
montrer sa science, il écrivit son nom en arabe*
» Bientôt une petite table fut dressée devant nous
et couverte de diverses pâtisseries assez appétissantes
, mais exhalant une forte odeur d’huile de coco;
en revanche on nous servit du thé et du chocolat
parfaits. Sur la fin du repas on apporta en
grande pompe une vieille bouteille devin d’Espagne
qui avait sans doute parcouru le monde; mais malheureusement
dans le cours de ses nombreux voyages*
ce vin avait contracté une odeur de bouchon qui lui fit
le plus grand tort.
» La vaisselle offrait les disparates les plus singulières;
ainsi à côté de couverts d’argent armoriés;
on voyait la fourchette anglaise avec ses deux dents
de fer sortant de son manche d’ivoire. De délicates
porcelaines de Chine heurtaient de grossières tasses
dorées de France, et de légers verres de Bohême se
trouvaient à côté de verres de cabaret!...
»Pendant que nous faisions honneur au festin,
trois Malais armés, l’un d’une basse , l’autre d’une
flûte et le troisième d’une guitare , nous jouaient de
vieux airs espagnols avec assez d’accord et de justesse;
bientôt les chants , puis la danse se mêlèrent
à la musique, mais tout cela n’était qu’une mauvaise
imitation européenne, et était totalement dépourvu
de teinte locale.
• » Les habitants de Solo sont mahométans, aussi
pas une femme ne paraissait dans la salle. Hans un
coin s’élevait une rangée de caisses formant uûe espèce
de'cloison. Portant par hasard mes regards de
ce côté, j’apêrçus au-dessus une douzaine de visages
basanés dont les yeux brillaient dans l’obscurité.
C’étaient les femmes du datou, qui nous contemplaient
avec curiosité. Se voyant, découvertes, elles
disparurent subitement, mais ce ne fut pas pour longtemps
, car à chaque instant je voyais une tète s’élever
bien doucement, et un oeil briller entre les caisses.
» La musique et la danse avaient cessé. Molou, d’un
air mystérieux, nous fit signe d’approcher. Il voulait
frapper un grand coup et achever de nous éblouir par
ses richesses et sa magnificence. Une cassette fut
apportée avec grand soin de tant lui, il l’ouvrit lentement
et nous exhiba un à un tous ses trésors. En
ce moment un silence profond régnait dans la salle;
tous les serviteurs, n’osant approcher, se levaient sur
la pointe des pieds et regardaient, le cou tendu.
» Molou nous montra d’abord quelques belles perles*
mais en petite quantité, elles étaient précieusement
enveloppées dans une foule de petits morceaux
de papier et de chiffons. Puis ce fut un beau kriss de
Makassar dont lè fourreau était couvert d’ornements
1839:
Juillet.