meur ouvrait les yeux, son regard, effaré comme je n’en
ai pas vu ailleurs, était empreint de stupidité et d’effroi. Je ne
puis mieux rendre mon impression , qu’en disant qu’il me semblait
voir à travers la figure jeune de cet .homme, une autre
physionomie de vieillard, ou comme si une étoffe transparente
la voilait en partie.
Il existe à Batavia un grand nombre de pareils lieux d’ün
plus bas étage, mais beaucoup plus vastes. Le plus considérable
est celui qu’on nomme «Mystern Cornïis, » véritable bouge sur
une plus vaste échelle, où chaque soir se rue la populace de
1 immense ville. Les soldats de la garnison, Javanais, Malais et
bourgeois , toute la basse classé en un mot, s’y livre à une débauche
publique. Je n’ai point vu ce lieu , mais ce qu’on m’éri
a rapporté dépasse ce qu’on peut imaginer dans ce genre.
Les effçts produits par l’ivresse de l’opium nécessitent l’emploi
d’une police nombreuse et vigilante. Des gardes indigènes
sont aux abords de ces.maisons ,, placés dix par d ix , de distanée
en distance ; ils sont armés de lancés et de fourches garnies à l’in-
terieur de pointes placées en sens inverse de l’ouverture de cet
instrument, qui sert à arrêter les voleurs çt lés fumeurs d’opium
en fureur. Ils saisissent au passage le délinquant par le cou, ou
lui lancent la fourche dans les bras ou dans les jambes ; cèlui-ei
une fois atteint, ne peut plus se dégager des épines qui le clouent,
sans y mettre un certain temps qui suffit pour permettre aux
gardes d arriver et de le conduire en lieu dé sûreté ou de le tuer
sur place, s’il est trop furieux , ainsi qu’ils en ont l’autorisation
envers les fumeurs qui, selon l’expression consacrée, courent
un malt. L’emploi de cette fourche est cruel, il doit blesser gravement
ceux qu’elle atteint, mais on doit avouer que ce moyen
est parfait pour arrêter la rage meurtrière des fumeurs en délire
ou qui feignent de l’être, comme on en a eu la preuve dans
quelques cas.
Outre sa garnison, Batavia possède une garde civique dont
les règlements sont strictement observés. On nous a montré un
jeune homme qui venait de subir quelques jours de prison pour
avoir manqué l’exercice. Les manoeuvres de cette garde ont lieu
le soir, dans une place fort étendue, et rien n’est plus amusant
que le spectacle de cette parade. Chaque milicien s’y rend en
voiture, accompagné de cinq ou six esclaves malais portant son
équipement guerrier; chacun d’eux est pourvu d’une pièce de
cet armement, et suit au pas de course la voiture de son
maître. Les voitures placées sur une longue file, attendent la
fin de l’exercice qui ne laisse pas que d’être pénible sous un pareil
climat, pour reconduire les soldats citoyens à leur domicile.
Les officiers de la garnison appliquent aussi cette méthode aux
exigences du service ; forcés d’être toujours en uniforme , gêne
excessive sous une température aussi élevée, ils ont du moins la
faculté de faire porter leurs armes par un groom ; c’est du moins
ce que j’ai vu pratiquer à un officier d’artillerie logeant comme
nous à l’hôtel de Provence....
' Le terme de notre voyage s’approche. Nous partons dans deux
jours e t pour ma part je n’en suis pas fâché. L’accueil qu’on
nous a fait à Batavia a été en général très-froid. Habitués par
nos précédentes relâches dans les colonies hollandaises à recevoir
des témoignages d’une affectueuse cordialité , qui nous ont laissé
de si bons souvenirs, notre réception dans la métropole a dû
attirer notre attention. Aucune invitation ne nous a été adressée,
aucune fête n’a été organisée à notre intention , comme
cela avait eu lieu ailleurs. Personne de nous ne s’en plaint du
reste, car délivrés des entraves des réceptions de cérémonie,
nous n’avons eu que plus de loisir pour nous livrer à des distractions
moins assujettissantes, et peut-être, par cela même, plus
agréables. L’hôtel de Provence est devenu un centre de réunion
où nous avqns, oublié pendant/quelques heures les longues' privations
du passé et la perspective prochaine des privations à
venir. Ces instants se sont écoulés rapidement et ont été accom