jouir des délicieuses brises du soir, dans de jolies voitures
éclairées par les torches de deux valets ; les
hommes, à cheval, galoppaient aux portières ou fumaient
gravement leurs cigares sur le péristyle de
leurs élégantes habitations. Peu après, le nombre des
voitures diminua, et bientôt nous nous trouvâmes
presque seuls, alors nous rentrâmes à l’hôtel en longeant
toutes les grilles des jardins ; nous destinions
la journée du lendemain à visiter la partie habitée
par les Chinois.
» Ceux-ci occupent à Batavia un quartier entièrer
ment séparé, ou plutôt une ville entière ; mais plus de
splendides avenues, ni de gracieuses habitations. Au
milieu de maisons entassées les unes sur les autres,
dans des rues étroites et tortueuses habitées par les
mêmes métiers, circule une population active et empressée;
d’un côté vous entendez retentir le marteau
du forgeron; le Yuleain chinois * le buste nu, la
queue roulée autour de la tête, bat le fer d’un bras
aussi sûr, aussi vigoureux que le meilleur ouvrier de
nos arsenaux. Plus loin, une longue enfilade de
chaudronniers, de ferblantiers vous, brisent le tympan.
Ceux-ci, moins bruyants, manient l’aiguille, la
navette. Des restaurateurs en plein vent vont, viennent,
colportant dans les ateliers le riz bouillant, arrosé
du national soya. Là-bas la vie fastueuse, le luxe
indolent; ici travail, activité’, économie.
» Les Chinois arrivent en foule dans l’archipel indien,
le gouvernement les accueille et les protège; il
choisit parmi eux un chef qui a le titre de capitaine
chinois : c’est généralement le plus riche et le plus
influent; il paye de belles et bonnes piastres le titre
et l’autorité dont il jouit.
» Le capitaine chinois est spécialement chargé [de
l’administration de la police et du recouvrement des
impôts. Il condamne à la bastonnade, fait couper le
nez ou les oreilles à ses administrés sans que les Hollandais
s’èn occupent le moins du monde; aussi vivent
ils au milieu des populations si diverses qui les
entourent comme à Pékin, et les Hollandais ont acquis
une peuplade calme et laborieuse, dont il leur
serait aujourd’hui impossible de se passer.
» Les Chinois sont essentiellement pacifiques,
tant qu’on n’en veut pas à leur bourse, mais ils sont
prêts à se faire assommer pour une roupie. Un employé
hollandais de l’intérieur de Java avait sous
sa direction sept à huit cents ouvriers chinois qui
travaillaient à des défrichements ; on était convenu,
les travaux terminés , de leur donner une
somme de«.., mais, quand on en vint à compter,
le Hollandais voulut en rabattre la moitié. Les Chinois
réclamèrent ; mais soit que leur pétition ne parvînt
pas à l’autorité supérieure, soit qu’on n’en tînt
aucun compte, ils ne purent se faire rendre justice.
Ils protestèrent alors tout de bon, et s’emparèrent
du fripon, déclarant que sa tête allait tomber, si justice
ne leur était faite; en conséquence, l’ordre fut
donné à une compagnie d’infanterie de les réduire.
Aux premiers coups de fusil, le malheureux prisonnier
fut mis à mort, et en réponse aux baïonnettes, ils